De l’instant.
Tout l’amour n’est qu’une espérance fiévreuse. Je rêve d’habiter l’emportement et la lie où se transforme la matière. Nous fusionnons et tu t’éloignes. Plus les images foisonnent, plus la mémoire familière se rétrécit et se resserre. Je le sais d’avance, il ne restera de nous qu’une lueur parfumée d’embruns tièdes, qu’un trou évanescent plongé dans la fissure de mon être.
Toute la vie n’est que regard. Elle goûte aux vents et aux marées qui se dissolvent sitôt les yeux fermés. De l’instant, il ne reste qu’un pli de l’air, qu’un souffle couvé sous les ailes du temps.
Nous sommes vivants de nos morts éculées, de nos tumultes crucifiés sur le désastre. Nous sommes des partitions aux notes fabriquées dans les torrents tumultueux de feux grégaires. Tes yeux ne sont pas de la farine fluorescente, tes mains n’ont pas de doigts, ton cœur est le clip des ombres enfermées dans ma mémoire. Mais après tout qu’importe ! Je t’ai connue et je t’ai reconnue ; le rêve prolixe est notre seul refuge. On se reconnaîtra toujours dans l’odeur des braises qui n’en finissent pas de rougir.
Chaque image cache une autre image. Chaque attente effile l’étoffe qui recouvre nos blessures. Il y a quelque chose d’infranchissable dans la proximité de nos êtres. Nos voix se sont égarées dans les sillons des champs sauvages. Elles ne portent plus la semence des graines originelles. Nous cohabitons dans les télégrammes de nos faiblesses. Nos âmes promènent dans la garrigue épineuse. Elles recomposent en silence les fibres qui alimentent nos veines d'eau. La terre est l’amante de la poussière. Notre fratrie dort dans la poudre couchée sur le sol. Le vent nous disperse, et nos cœurs attendris s’envolent à mille lieux de nous-mêmes. Dans mon ventre, le goût de la chair a des saveurs d’os moulus et de ferraille solitaire.
- Bruno Odile - Tous droits réservés ©