C’est la vie qui recule. Pas nous.
Seules nos enfances sont encore blotties dans la proximité où chacun guette l’autre plus que soi-même. Nos bouches appellent et nos craintes s’essoufflent, curieuses des gouffres où s’enfoncent les cris.
Seul le rire reconnaît la promesse des mots et l’illusion des actes. L’aplomb de la joie putréfie l’immobilité de la neige et trompe le temps qui se défait dans nos mains. Nos épuisettes retiennent les grumeaux du souffle qui se déposent sur les parois de la lumière. Ici même, le face à face déloge le mensonge caché derrière les rideaux. Nous avions deviné que ces draps de velours tièdes ne recouvraient pas de fenêtre. Le mur est plus haut que l’ombre qu’il répand.
Nos cœurs sont des cerceaux et nos têtes sont des triangles pour annoncer le danger. Notre rencontre reste coincée dans l’absolu des lendemains où nos voix sont debout sur le rebord de nos âmes.
Au détour d’un chemin d’herbe verte, le monde donne un nom au vent qui nous pousse. Ton sourire dans mes yeux masque ton nouveau visage. Nos ventres se vident de leurs misères, et je lis dans la distance de tes lèvres l’effroyable nudité où l’instant s’accroît pour devenir l’éternité des poudres explosives.
C’est la vie qui recule. Pas nous. C’est l’audace silencieuse de nos jeunes années qui occupe le frisson comme du sable jeté sous nos paupières.
Toi, mon eau plate, mon lac serein, ma sève douce, tu englouties d’une seule bouchée toutes mes dérives et toutes mes folies. Toi, arbre de vie, tu illumines le branchage ouvert au nid d’hirondelles. Toute cette force soutenue et toute cette énergie calme se libèrent en puisant dans la terre et les pierres. Nous devons à présent nous soulager de l’erreur tragique qui a dicté notre destin. Il faut nous émanciper de l’eau rompue aux flux de la lune. Nous devons apprendre à débroussailler l’illusion de sa vision conciliante, là où s’achève le monde désiré. Le temps distord le jour qui bat des cils, il dévie les sens de leurs courbes naturelles.
- Bruno Odile -Tous droits réservés ©