Et malgré tout.
On récite des lettres apprises par cœur, puis on invente des mots. Troubadours des gestes, nous fouillons la chair repliée, nous entamons des chantiers et nous creusons nos corps pour trouver les paroles qui s’enroulent à nos muscles. Comment pourrions-nous reconnaître dans la substance de la mémoire ce qui est plus vieux que nous-mêmes ?
Derrière les chiffons et les draps troués, un calendrier où chaque date est un héritage. Une succession dont on se sent étranger. Un goût d’acier et de vide se mélangent à l’eau de la lumière. Toutes les directions nous ramènent au pays de l’enfance. Mes baisers sont des sucions goulues de lait et de farine. Mes sourires se plantent dans la nuit pour y faire gicler des mots et des sons. Le monde n’est pas fini et son étendue illimitée se déploie comme une mer qui ressasse ses buées. Et moi, je t’aime pour faire durer.
La vérité de chacun a toujours sa part d'exactitude incontournable. Mais sans une folie utopique pour l’ensemencer au cœur des hommes, elle reste une pierre au milieu de l’océan, une brûlure du présent qu’elle enflamme.
Toute la froidure de la montagne aura du retard sur l’amour qui recouvre la peau des bourgeons plantés dans nos cœurs. Tu t’enfonces entre deux vagues d’ombre mais je sais que nous nous sommes touchés. La parole laisse tomber les mots sans espoir et le doute incruste ses syllabes à l’écho des aurores déglinguées. Des chemins nous font des signes désespérés et le passager périssable de l’instant, c’est nous.
Le blizzard efface toutes les traces. Le cadre du tableau devient du marbre. La toile fige l’inexprimable avec des couleurs nées dans la bouillie de la terre. Je suis plus proche de ton haleine que toi. Entre mon amour qui te parle et le silence que tu me renvoies, la vie danse haut et s’exprime fragile comme une embrassade. Et malgré tout, nous suffoquons face à terre.
- Bruno Odile -Tous droits réservés ©