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LA COLLINE AUX CIGALES
3 novembre 2013

La bonté dévaste les racines.

 

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Rien n’existe plus, et cependant, le jour se lève comme la première fois. Je me cache dans l’ombre transparente et la surface de l’eau reflète des branches découpées. Il ne reste rien de moi dans l’apparent gouvernail des heures qui s’effondrent. Je deuille aux quatre coins du miroir. Mes paupières sont lourdes et les rêves sont déracinés de leur empreinte. Je ne dors plus, j’habite l’image défrettée où le jour familier s’étouffe. Défragmenté, mon squelette joue au mikado. Mon esprit irrigue la nonchalance revêche des contre-jours. Je suis l’aigu frémissant qui remonte de la mort naguère, de la pause intersidérale où s’énonce l’espace d’une seconde mature, large et hors du temps. Les moments déjà vécus se retrouvent dans l’auréole qui me hante. A bout de souffle, au bout de l’événement, la bouche mord les mots restés dans l’entre-gorge, de l’antre qui s’égorge.   

Mon cœur est une tête d’épingle, un frottis dans l’entaille angoissante du mystère, de l’énigme sans cesse ajourée par l’interrogatoire. Sur le moignon, la révélation de la chair mange le pied qu’elle n’a plus. Des oiseaux poussent sur les racines de l’ombre. Un nuage parfumé s’évade à tire d’ailes. Des crocodiles affamés s’enfoncent sous l’eau boueuse. Des arêtes de poissons fleurissent sous mes ongles. Je frôle l’heure qui se gratte. La saignée ouvre des sillons sur l’espace appauvri, orphelin comme un œuf que plus rien ne couve. 

Cette ombre sur le rideau qui se ferme, c’est le ressac qui chahute la chair de mes pensées. Je voudrai fermer les yeux sur la fuite, mais le monde est sans issu, clos sur lui-même, il roule comme une bille au fond d’un entonnoir. L’horizon confusément amoncelé chasse la lune de la sphère qu’elle occupe. Une lumière bleue marche sur la figure de l’obscurité. L’instant qui palpite dans mes entrailles est muet comme une tombe vide. Un galet sous la langue des sorcières coupe la toile des mémoires blessées.   

Mémoire morte, en exil, décapitée par la foudre tonitruante où s’exhibe la rupture. Comédienne sans accent, fileuse de laine sans bobine, le choc pénètre l’absence comme une truie porteuse de microbes. Je ne me souviens pas. L’heure fixe et le panneau sur le bord de la chaussée. Chaque Stop en cache un autre. J’ai laissé la virgule sur les planches du théâtre d’ombres. Je plis comme un lourd rideau de velours et les trois coups emportent le puzzle. Il faudra tout recommencer. Tout refaire sans marcher sur l’estrade gelée. J’accoste le territoire des faussaires, la réalité n’est plus qu’un euphémisme rédhibitoire.  

Passants anonymes, vos yeux de soie sont des redingotes posées au cœur du champ de navets. Mes yeux à moi dévissent les amarres de la contingence socioculturelle. Je cherche le quai finissant après l’embouchure des jours lessivés par les sucions d’ammoniac. Je suis torché comme une crampe nue serre les muscles de la nostalgie qu’aucune vie défenestrée ne soutient. Je suis tombé et la terre a perdu son menton.

Le fracas qui remonte du sol déblatère. Je peine à articuler l’émotion où sombre les voix de sirènes. Le chaos est mutant, il bat la retraite à l’arrivée du jour où baignent les herbes fraîches. Le ruisseau s’écoule par la fontaine dont la pompe a rompu. Il est seize heures et la route s’est dépeuplée. Sous la glissière, un brancard couche sa peine sur un lit de gravillon. J’ai l’âme sur le goudron et les balises clignotent comme des guirlandes de Noël. 

Je sais à présent qu’il n’y a pas une autre vie pour suspendre la mienne plus haute que cet édifice déglingué. Je voudrais me convaincre qu’aucun détour n’est plus rapide qu’une ligne droite. Lucide, ma conscience crache sa rage pour parvenir au refuge de l’unité. Mais la certitude est une faille qui se lamente dans l’esprit sain. Des mygales grimpent tous les récipients. J’ai une peur bleue de toutes ces bestioles. J’ai connu la randonnée paisible où le soir autour du feu chacun raconte son histoire. Mais, ici, je suis seul avec le regard des autres. Déjà enfant, rien ne me semblait suffisant. J’attendais de la vie qu’elle soit d’une altitude vertigineuse, qu’elle proclame la magnificence des contes de fées. Ma condition antérieure me retenait déjà prisonnier. J’ai longtemps habité la convulsion plus que la clarté.

Corps d’échange et de mutation introspective, une voie fluette a ouvert une béance naturelle au fond de mes tripes. Mon ardeur poussive à vivre et à exceller partout où la terre est encore tiède de sa déconvenue m’a jeté dans le doute et la circonspection. Existerais-je pour rien ? Devrais-je boire à la coupe commune ? Est-ce que tout ce qui sort de ma vie disparaît sans laisser de traces, sans avoir préalablement mixer corps et esprit ? La peine nous éloigne de soi autant que la bourrasque balaie tout ce qui s’érige sur son passage. Se maintenir dans une station debout relève du miracle. N’ayant pu trouver la force nécessaire pour me maintenir droit dans la tourmente des jours cafardeux, j’ai spontanément muté dans le réceptacle de l’émotion. 

Je crois être handicapé de naissance. N’avoir ni les capacités, ni les facultés naturelles pour entreprendre un chemin aguerri, fluide et harmonieux. La discorde est souveraine. Je ne connais pas l’harmonie pleine et entière, ni la sérénité définitive. J’avance et m’embronche régulièrement aux faits et gestes. La pureté absolue est un mythe, de la même manière que la détente suprême que l’on nomme bonheur. La joie ne s’acquiert pas comme une marchandise, elle est le reflet du hasard et de la synchronicité des ondes. Elle abonde aux esprits ouverts, en éveil, disponibles. Sans doute, faut-il être calme et détendu pour supposer l’approcher.    

Est-ce mon corps tordu qui possède des antennes mieux dirigées, est-ce la diminution, l’altération du sens que l’on peut donner à l’existence qui me procure une acuité particulière pour toucher les cendres du ciel ? J’éprouve de grandes difficultés à concevoir ce que je ne connais pas déjà. Je n’atteins jamais la béatitude clairvoyante sans préalablement m’être déconnecté de toutes consciences. 

Mon corps s’est perdu dans de nombreux délires avant même que de n’être condamné à ne plus pouvoir. J’ai connu l’alcool, le sport excessif, les repas copieux et toutes les distractions futiles qui contribuent à connaître une forme de légèreté. Rien ne m’a sauvé de la condition désespérante. Rien n’a duré suffisamment pour me délivrer du poids autoritaire de la raison parsemée de doutes et de culpabilisations moribondes. 

J’appréhende le regard ; celui qui se pose sur la multitude pour ne retenir que quelques points particuliers. J’appréhende de la même manière mon entendement ;  celui qui œuvre pour une compréhension résumée à son essentiel. J’accoste l’éclair et ne retiens que la brûlure. Des canons à mille pattes s’introduisent aux abords de la clairière qui me servait d’exutoire. J’attendais patiemment le matin pour voir le chaos se coucher dans la pleine lumière. Mais, la nuit déborda l’aurore et se saisit du sommeil auquel elle insuffla son noir charbon d’outre-tombe. Le silence fait place au silence. Les ombres remuantes n’ont rien à dire. La lune dans le caniveau murmure lentement les ricochets qui la galvanisent. L’éblouissement est ailleurs.

Les mots sont des étoiles tirées à bout portant. Ils tombent de la bouche comme de gros grains de sulfure. Je n’entends rien, je sommeille au-dessus du miroir des anges. Un moment, la terre est claire des voix qu’elle porte. J’habite le studio immobile des résurgences sans nom. Je suis l’héritier de l’eau dévalant les sommets fantômes de la résurrection. Mes chakras sont obturés, dix mille soleils inondent la nuit qui vient. La bonté dévaste les racines où se prolonge le goût du sang peuplé du rire des hirondelles en partance pour d’autres rivages. Je connais le bleu qui tance jusqu’au vertige de l’humanité captive de ses efforts à reconsidérer la route parcourue. Tout ce qui est derrière est mort d’avoir trop tenu le jour entre ses dents. Le passé s’éclaire aux mille feux immédiats. Il est le témoin brisé des jouxtes entre l’architecture de l’univers et des minuscules nœuds croisant nos enfances nues restées sur la rive. 

Nos faiblesses font corps pour survivre à l’apogée des rumeurs immortelles. Il manque l’unisson, la grande rambarde du plaisir capable de soulever l’air au-dessus des friches du temps résorbé. Sur ma table de nuit, des miettes s’éparpillent dans l’apparence du sommeil troué par les archives d’une vie insomniaque. Le simple fait de taire la vie qui coule dans mes veines réactive tout le fracas du monde. Dans mes rêves, je marche encore.   

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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