J’ai peur de ceux qui disent « je t’aime ».
Un retour de sentiment éclate comme une grenade dans nos mains. Une poignée de couleurs te sépare du bruit que fait le cyprès sous la rafale du vent. La nuit blêmit de sa fausse couche tardive. Sous la pierre et dans notre refuge, le thym et la farigoule gargotent comme un civet de lièvre au fond d’une marmite de fonte. Dehors, tout est blanc d’une lumière aveuglante. Rien de ce qui peut être touché n'a de sens pour la caresse du vent. Quelque chose se râpe et mon cœur ne le sait pas encore. Une friction de la masse qui nous entoure irrite la paroi du vertige.
J’ai dix ans, je dors dans la bûche qui crépite, je rêve d’oiseaux et d’écureuils penchés sur le hublot du bateau qui m’emporte. J’ai cent ans et je dépucelle l’ardeur de vivre dans les escoubilles remplies de reliquats impénitents. Je n’aime pas souffrir de la beauté qui pleure, je n’aime pas dégringoler la paroi verticale de l’absence. Et je cherche sous les pas du géant qui m’écrase, les empreintes du souffle de l’enfance perdue.
J’ai peur en pensant à l’amour. J’ai peur de ceux qui disent « je t’aime » à tort et à travers, sans le penser ou sans ressentir le frisson qui décalotte la lueur du cœur lorsqu’il est ému. Il est si difficile de ramasser le timbre d’une voix sur les pierres noires de la nuit. A la limite de l’angoisse, de la prière et de l’accord, l’émotion se retrousse comme une jupe et le partage s’effectue sans que l’on sache la quantité d’air qui nous pénètre. Sans que l’on devine la quantité de lumière qui essuie nos ombres.
Est-ce que le tonnerre redoute la foudre, lui aussi ? J’écoute jusqu’à être vraiment sûr, sans jamais l’être vraiment. Il pleut et fait soleil en même temps : c’est un temps de chiffon, un temps à démâter l’absence qui fait encore pousser en moi ses ardentes gerçures.
- Bruno Odile - Tous droits réservés ©