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LA COLLINE AUX CIGALES
18 décembre 2012

L’amour me tient lieu de souffle.

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Tu es une voyageuse légère sur le dos du cheval des ombres. Tu occupes quelquefois cette charrette de bois chargée de compost fertile que je tire au devant sur le talus. Je cueille à foison dans le ramage sombre où le crépuscule n’a pas encore tout enseveli. Je voudrais t’amasser comme un écureuil prépare ses réserves d’hiver. Je confectionne patiemment des petits monticules de sable fin et des roseaux fleurissants dans l’herbier magique où se concentrent les parfums fermentés de l’oubli. Sur le bas relief de cette fosse d’amour que j’ai conservée à ciel ouvert, je m’enrhume et j’éternue pour te sentir à pleines narines. L’avenir purifie la mémoire blessée. Doucement, notre histoire se replie dans une grappe de roses où s’endorment les adieux.

Te perdre n’est plus une perte. Ni un combat. Mâchouillée par la nuit broyeuse de rêves, ta mort s’est fixée, ici, dans la chair du jour gorgée de sensations artificielles. Le passé émonde l’instant immédiat, fragile, morcelé et fuyant. Rien n’est plus vraiment discernable. Tout fluctue et se transforme. J’ai l’impression étrange que le temps se rétracte comme un cuir trop mouillé. Je me souviens, et c’est dans la liqueur de ta lavande que mes abeilles tendres butinent à la fraternité des images et des sourires dont j’ai perdu le son. Une dilatation se produit à l’envers des événements. Je vais, aveugle, imaginant la place que j’occupe aux abords de la lumière. Ecorché, me voici perdu dans ma propre inconsistance.

Pour combler le vide et tarir l’absence, il faudrait préalablement s’habituer au dépouillement et à la nudité, et vivre dévêtu comme les peuplades primitives. 

Que dire de ces portes qui s’ouvrent et qui se referment, au gré des soupirs ? Que faire de ce temps déposé dans un panier à mes pieds immobiles ?

L’amour me tient lieu de souffle. L’ombre de la lampe tremble sur le mur. Vivre n’est pas une raison en soi, c’est davantage une sensation au service de la correction du réel. Il nous faut renaître chaque jour dans la course éphémère d’une frêle parenthèse cernant le jour jusqu’à la nuit. L’air nous lave. Il nous libère et nous absorbe en même temps. Dans la permanence confuse de mes gènes, nulle durée ne sent la chaleur que le déchirement encense. J’erre pourtant autour de cette lueur incontournable. Opale arlequine arrachée à mon sang. Clarté confuse pliée comme un buvard gorgé d’encre noire.

Je me reconnais dans la déroute de la sensation. Vois, combien je m’agenouille au chagrin compassionnel comme d’autres se soutiennent au brancard de l’insouciance, au palanquin de l’ignorance. Lourdement. Opprimé et rendu.

Chaque isolement mûrit le feu qui incarne l’utopie du monde. Chaque part de nous-mêmes s’élance dans la quête introspective du silence des glaces restées éternelles. Je me suis disloqué une nouvelle fois derrière ce mur de glaçon. La nuit, la blancheur furieuse de l’attente me sépare du sommeil. On ne guérit pas de son enfance, nous sommes le prolongement de « il était une fois » pour toujours. La distance qui nous sépare demeure moins violente que cet air mordant coupant mon souffle. La pointe de l’infini est moins lointaine que ces lèvres en forme de rasoir givré. Je suis conscient qu’il m’est impossible de durer indéfiniment dans cette clairière raccommodée au vide.

Pourtant, vivre avec l’idée de toi à mes côtés, cela ressemble à une route qui s’agrandit comme une mer. Incessamment, le vent nous aère, nous sépare et nous ressoude. Nos cœurs crépitent dans la pierre tenue à l’écart. Sur la falaise, je te tiens à bout de bras dans une exclamation sentimentale au bord d’un précipice. D’un jet tendre, l’amour se hisse un peu au-dessus des plaies. Je m’arrête alors aux abords de mon souffle, comme sur le seuil d’une porte, et j’écoute son cri, son bêlement iconoclaste.

 

 

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