Je ne te quitterai pas.
Attendre, il m’a fallu savoir attendre, et m’intégrer à la patience comme une fleur sous serre bénit la délivrance que lui offre un rayon de lumière. Il m’a fallu séjourner longuement dans le monde virtuel de la pensée pour supposer que la réalité s’en inspire. Puis, résolument, entêté, j’ai dû témoigner de ces sources originelles pour exorciser dans les siècles de granit tous les tremblements qui remuent encore nos terres et secouent nos mers. Une immense vague rassemblant toutes les autres s’est écrasée sur notre amour en sursis, et elle a ensevelit nos plus profondes crevasses.
Quelle lumière par-delà ton visage restituera la luisance de tes yeux ? L’heure a pelé comme une herbe jaunie. Ton absence dévore la pierre empilée sur l’horloge. Je ne te regarde plus. Ni devant, ni derrière. L’ombre se détourne. Une eau perpétuelle veille l’horizon. Des boucles échevelées tombent de ma bouche. Mon attende inaudible sonde la fiction. Noueux combats de la mémoire dévisageant le vide. Mon ombre est remplie par les histoires tonitruantes des fibres du monde.
Le vent bavarde gentiment dans les branches comme à l’automne. Le craquement inaudible des feuilles n’altère pas le ramage vert qui se transforme doucement en gouttes de souvenir. Le buisson de notre enfance s’est à jamais refermé, il est désormais étanche comme un miroir désaffecté. Le règne de la nuit berce le rêve silencieux des étoiles. Je t’écris sous la mer, les doigts rouillés comme un parapluie dont les baleines ne coulissent plus. Dans un fracas de fer et de mots ensorcelés, je me déplie sous l’algue légère où repose la beauté tranquille du bonheur. Une douce cicatrice des jours heureux laisse s’échapper le parfum attendri de nos misères. Ce qui était perdu dans le passé vibre maintenant sur la corde de ma voix.
Dans cette vacance ininterrompue la solitude s’essouffle. Je suis tout entier englouti dans ce lieu dépeuplé qui accompagne l’égarement. La saison aux ramures d’ocre annonce sans appel la dissolution de la nature, c’est l’étreinte de nos dépouilles. Ton prénom laisse place à tes yeux dans lesquels j’ai construit l’alternance de mon désir à te savoir là, réduite à la seule expression concevable. Je m’assois enfin sous tes paupières, tranquille, comme un nourrisson repu du lait de sa mère. Et, sur la table de bois, je pose l’ébauche de sang que je porte dans mon cartable comme des étoiles brûlantes.
Le silence succède à ta voix et la musique est dépeuplée de notes. La mort refuse la prison du corps, elle dérape et piaille un peu comme une chorale de grenouilles sur une mare gelée. Lorsque j’écris, j’ouvre les pores du malin qui me gouverne et je puise à la fissure de mon orgueil. L’amour propre devance toute échappée langoureuse. La peur de mourir fissure l’édifice des certitudes. Il m’est égal de renoncer aux choses établies si la rupture des rayons du soleil m’accorde avec la plénitude des âmes défuntes.
Faudra t-il encore longtemps s’abandonner à des constructions douloureuses et à des fondations défaillantes ? J’entretiens l’étincelle d’une beauté qui m’échappe. Mon sang est le fleuve de dérélictions incontrôlables. Je sarcle et je bine mes racines et les ombres buveuses de sang percent ma chair. Je demeure vivant de mes vieilles peaux. Tes yeux sont des amphores trouées où je me répands comme la vibration qui naît d’un choc. Mais, tu le sais, je ne te quitterai pas sans préalablement avoir bu aux couleurs qui s’effondrent dans l’obscurité.