Demain n’a qu’à revenir plus tard.
La seule conviction d’être vivant ne m’assure pas la pérennité du senti. Contaminé par l’air, je respire le monde qui n’est plus. Je le fais redevenir. J’ai la tête pleine de terre et la langue chargée de sédiments. Eventée, la parole devient la fusion de toutes les empreintes. Je vois fort bien la réalité au-delà d’elle-même. A la cime du rêve, l’éblouissement retourne au soleil qui m’éclaire. La vie s’ouvre comme un couloir de blanc dans le sombre ravin qui me préoccupe. Et, j’y déambule comme une marionnette, un autre moi-même.
Demain n’a qu’à revenir plus tard. Trop de jours perdus recouvrent tes cendres dispersées. Le temps préserve dans ses mâchoires de tendresse les gibecières que nous avons portées autour de nos cous. Demain me fait reculer jusqu’à toi, et je patine, et je glisse sur la glace qui ne s’est pas encore brisée. Ma mémoire n’est rien d’autre qu’une malle où j’ai conservé un peu de grain pour le cultiver dans le désert envahissant. Je fais pousser des herbes et des fleurs pour y cueillir ton sourire, tes lèvres, ta bouche, puis ton visage tout entier. Seul le souvenir réamorce les sens et fait surgir une émotion. Je te soulève de ce mouchoir noir et je te ramène à la maison, dans notre cabane sur le cerisier. Tu t’assoies à mes côtés et nous allons souper avec les étoiles.
Tu sais, souvent, mon regard reste coincé, perdu, dans ce trou de serrure par lequel je rampe comme un soldat en des lieux hostiles remplis de fils barbelés égratignant ma peau, éraflant mes joues et triturant ma tête. Je m’introduis dans ce fuseau réduit, dans ce long tunnel cannelé et c’est d’une seule vision statique que je parcours en sens inverse le chemin où je te vois encore. Dans cette glissière étroite où se fixe la truculence amère que je n’ai jamais su éradiquer totalement. Je te rejoins dans cette glue de nos heures bosselées, jusque là restées dans le non-dit, et je voudrais désormais te lire à voix haute comme on lit un feuilleton jamais terminé. A cet instant, je me fiche bien de nos emportements d’adolescents pareils à des sagas aux récits indisciplinés.
Tu vois ma sœur, partout en nous, seulement l’humble mensonge des mots grandis dans nos berceaux d’illusions. Ils offrent leurs soupirs à la chair de l’instantané. Ils se réveillent de nos maquis mordus par le temps. Ils trahissent nos secrets puérils. Les voilà qui grimpent aux sommets de nos urgences inassouvies. Puis, sans miracle, retombent comme des flocons de neige presque dégelés. Partout la blancheur s’habitue aux nuages qui squattent le ciel. Partout des lueurs bleues s’accroissent dans mon cœur sculpté au givre de l’espoir. Un jardin d’hiver s’ouvre aux mains de l’été. Il y fait doux-froid comme lorsque tu me prends dans tes bras.
L’infini n’est qu’ici. Et, je te vis autant de mes songes que de tes baisers de fumée.