-- R003 --
Mes paroles sont des fentes, mes mots des trous. Te parler déchire le ventre de toutes les expressions, de toutes les codifications utilisées pour mordre à ta poussière. J’ai un vide planté en pleine poitrine. Un vide archaïque et séculaire, d’un cérémonial antédiluvien, d’une averse viscérale, d’un limon incontournable. Un vide démoissonné de temps, décapité de venin, une plaie gonflée d’orties imaginaires et de rêves crapotés en des cimetières bafoués. Je te sens vivre dans ma peau. Et, je te cède à ma vie, déliée de mémoire outragée, dépouillée de chair profanée. L’intuition, dans sa tombe, s’installe dans une vaste lande de solitude et de dénuement où l’abandon geint son égarement et sa tourmente.
Aveugle de ton état de friche, comme les ondes que tu distribues encore, peut-être. La mort comme une transformation, comme une mutation, comme un départ et une fin programmée puis reprogrammée, falsifiée, une faim incessante, permanente et indéchiffrable. Nous nous accouplons cependant, toujours et encore, dans le déchirement de nos voix hurlantes, dans l’hémorragie de nos révoltes douces. Car, tout en ce monde s’ouvre à la colère et à l’insoumission, alors pourquoi pas chez toi, aussi ; pourquoi pas dans cet ailleurs présumé incommensurable ?
Nous sommes, sans doute, seulement le fruit d’un néant flottant, de fragments d’étincelles, de hardes de temps immolées à la constance de l’infini. Dépecés comme des atomes nus, décapuchonnés de sens, démunis de rôles et de tâches précises, borgnes de nos ravins, hissés aux flots des vents et des souffles comme des étendards de la matière gazeuse primitive. Nous sommes, sans doute, juste des peurs inguérissables et incontrôlables. Des craintes pures fourmillantes dans un tourbillon d’éléments étrangers à toutes causes. Nous spéculons le réel à l’économie de nos besoins. Blottis entre les crevasses bosselées des cancers de l’univers. Nous sommes aussi liquides qu’une respiration abyssale.
La mort est-ce une outrance, une excroissance du vide ? Ne venons-nous pas, tous, de cette première nuit où le feu a surgi ? De cette nuit élémentaire, saturée d’immaculé et d’audaces vierges ? De ce lieu où la création s’invente elle-même ?
Est-ce pour cela qu’inondée de turbulences et de tumultes, tu as choisi de retourner à l’empreinte initiale, à la cicatrice du non-être ?
Je ne saurai décrire… mais j’ai cru entendre une musique lointaine, un soubresaut diffus, une manifestation de l’indescriptible. Le soubresaut de courants d’air sonores, des portes qui claquent, des élans brutaux, crus, provoquants, et puis un bourdonnement lent, asphyxié, grave comme le grognement d’une cornemuse retentissant dans une vallée ébouriffée d’appels sourds et de sons incompréhensibles. Comme un chant sibyllin coagulé dans la frénésie d’un rire statufié. Un étouffement tétanisé. Un bruit qui s’exténue, se démantibule, parce qu’arraché au silence de l’infini. Il y a des amours sans chair, sans ivresse, qui ne boivent qu’au feu du désastre. Il y a des amours aussi infantiles et aussi dépossédés de sens qu’ils naissent et flamboient dans la fulgurance de l’amputation intérieure et du tragique inapparent. Il faut alors se survivre pour étayer les caresses et béquiller les rêves qui titubent. Il faut blanchir la souffrance qui gueule ses immondices comme un seau à purin dégueule des parfums insoutenables.
Ce qui a manqué à ma vie, c’est la certitude d’une ligne tracée d’avance, une droite rectale qui se dévale sans question. Une longue ligne déroulante de long en long que l’on occupe comme le poids d’une peau écorchée, comme quelque chose qui nous semble une évidence prompte et immédiate et qui va durer quoiqu’il arrive.
Ce qui a manqué, c’est la simple vacuité dans laquelle on s’installe avec la conviction d’être à sa place.
Nos mains et nos lèvres sont d’immenses cicatrices, et je glisse dedans, et je m’y enfonce comme une enclume se précipite irrémédiablement au fond de l’eau. Chaque approche, chaque caresse est un combat, une lutte pour danser, une bataille tactile pour mes sens éructés comme les piques d’un hérisson blessé battant la retraite. Chaque parole est un baiser perdu qui s’envole avec la voix. Rien ne s’imprime qui ne soit déjà là, dans la résonance inoculée des contre temps épineux de l’épreuve dépourvue de sens. Ce qui a manqué… ce qui s’est tu, c’est la persuasion, c’est l’assurance claire. La certitude d’être vivant, malgré le trouble, malgré les vapeurs sans cesse perlées de brume sablée sur les aurores naissantes. Aujourd’hui, j’accomplis des rêves seulement pour rêver. Aujourd’hui, les droites sont des courbes que je fais sécher sur l’étendoir des paysages comme des ruisseaux d’ombres fraîches, comme des voiles transparents que le jour traverse.