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LA COLLINE AUX CIGALES
17 novembre 2013

9 - Le cœur secoué.

 

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L’air se brise dans le ronflement des vagues. Au loin, j’entends hurler les relents du déluge. Il est moite d’une affreuse transpiration et il claque comme une pierre jetée sur les volets de ma conscience. La vie a pillé le vacarme de mes ombres. J’ai perdu le crépitement de la brume où ronflait ma tristesse démuselée. J’habite l’incolore vapeur d’une naissance abîmée. Je suis un cours d’eau paralysé sous la vague où se déploie l’écume. Sibylle est en transe et cul de jatte nomade, je me promène sur la terre qui m’a vu naître, trahi par la direction du vent. Toutes les mers copulent avec le sel et des délivrances avortées gueulent leur désespoir dans la tempête qui m’emporte.

Partout le langage hurle des mots inavouables. Je me concentre assidûment pour dissuader les menaces qui pourraient troubler la guérison. Oui, je veux guérir du froid qui traîne dans mon sang. Je veux me frotter très fort contre la paroi fragile de mon être. Je veux m’effrayer et m’étonner en même temps. J’ignore tout de la souffrance que je n’ai pas connue, mais pour l’avoir vu jeter son dévolu sur d’autres que moi, je sais qu’elle est capable de décapiter les esprits les plus courageux. 

Nous sommes nombreux à nous mentir à nous-même ou à nous cacher derrière le masque de la compassion rutilante mais notre misérabilisme naturel demeure souverain.

En avoir conscience ne nous garantir de rien. Notre fragilité reconnaît la déficience avec laquelle le jour nous éclaire. Qui que je sois, je ne pourrais jamais me voir aussi précisément (grossièrement) que dans le regard de l’autre. 

Accepter ce que la vie nous offre, quoiqu’il en soit, c’est lui reconnaître sa puissance. Sa folie nous oblige. Aimer, c’est se voir tel qu’on se sait jamais se regarder, du bout de la rétine aux commissures des tendresses lovées à la pointe des yeux. S’aimer, c’est franchir des routes inconnues. L’espace à combler demeure une fissure qu’aucun fil ne sait recoudre, qu’aucune caresse ne sait étancher. Dans le face-à-face avec soi-même, seule la mort tisse la fluidité des pulsions de vie. L’étreinte sentimentale affirme le naufrage partagé des solitudes, c’est la probabilité des heures manquantes qui s’effondre de nos corps gangrenés par de multiples empreintes fossilisées.  

De trop belles mains ont encerclé l’aurore et voilà qu’il danse maintenant dans le regard des lieux perdus, dans l’égarement et l’incontinence de nos mers irritées par de fausses clémences aux peaux chavirées. Je vivote sur la chaloupe des consentements restés sur la berge de mes décombres. L’impartageable est une pulpe par laquelle coule les murmures échoués des sens ébouriffés par le souffle puissant des convictions. L’aurore est cette finalité provisoire où se conçoit la nuit des jours, la nuit des temps, la nuit prépuce au désir que l’attente meurtrie. Tant à dire et si peu d’éloquence, tant à faire et des gestes amoindris, tant à vivre et si peu de temps, tant à prononcer d’une seule élévation qu’aucune rage douce ne saurait s’y risquer. Il me reste le hasard de toi et moi et du monde qui inonde le creux des mains. Il reste l’aurore du pressentiment au cœur de l’appréhension.

La joie indescriptible est toujours la plus sereine. Le silence préserve dans sa bouche tout l’étonnement. Il capture l’intensité de toutes les intentions de déliement et de fragmentation. L’handicap est un facteur de privation de liberté. Il oblige à la réévaluation de sa condition d’homme au profit d’une disponibilité accrue. Il rectifie l’insatisfaction compromettant l’autonomie. Il contraint l’estime de soi à se déployer au-delà de la satisfaction perdue. Ma peau s’est tendue comme un tambour, elle sonne la répercussion de la bête qui demeure en son sein. Piège suprême qui dilate les sens et enterre les braises rugissantes des sourires anciens. 

Chaudes nuits aux bouffées d’escarres saillantes, les sillons de mon être transpirent la déchirure. L’enfant que j’étais pleure et hurle parmi les bruits et les souffles insignifiants. Ce qui est perdu déleste l’amour-propre de ses frasques protectrices. Je suis nu comme le crépuscule qui se couche, frais comme le vent qui coiffe le givre. Je reconnais mon pas dans le couloir de l’abîme, il chante la candeur des marches insouciantes, il clame l’avancée prodigue où vibre la temporelle présence du deuil. Les rideaux noirs de la nuit cachent ma silhouette à l’œil cynique qui me persécute. Je suis l’hôte de moi-même et mon corps est la grande masure qui abrite des notes aux accords de syllabes rompues. De vieilles chansons désaccordent les fils de mon piano et une symphonie parturiente s’enflamme des excréments du bonheur en proie à une mixture nouvelle. 

J’ai le cœur secoué. La salle préopératoire n’a plus de secret, ni le scalpel offrant l’air et la lumière au sang qui court d’habitude dans le noir réseau de ma chair. J’ai perdu l’appétit et avec lui les kilos saugrenus. La fonte musculaire intense m’a ôté la force suffisante pour accomplir les gestes de la vie ordinaire. Je rééduque mon existence avec le seul credo fidèle de l’acceptation passive. La restriction de mouvements unifie mon esprit et mon corps. Dedans, je suis d’un seul tenant. Toutes les durées se télescopent et la grise prière de la mort étouffe le vide. Je réapprends le jeu, ma voix est dans la vasque de l’action ininterrompue. Madame la Vie me parle comme à un nouveau-né. J’ai la bouche remplie d’écume de lait et mon ventre gronde comme un sous-bois au matin levant. 

Je fais semblant autant qu’il m’est possible mais l’impotence rattrape mes larmes. Je me pleure. J’oublie totalement tout environnement et mon ego gonfle comme une bouée jetée à la détresse. Plus rien ne me préoccupe, il n’y a que moi et l’horizon dévêtu. Pour désaxer le sortilège, je joue car le jeu m’offre la possibilité de devenir ce que je veux et me départit de l’idée initiale qui me conduirait à devenir ce que les autres attendent de moi. La disparité souffre de la divergence que j’éprouve de la singularité lorsqu’elle reflète mes propres avaries. J'ai désacralisé les réflexes identitaires loin des fluctuations tempétueuses des opprobres humaines.J’excède la caricature et l’image grappille aux frustrations. La pacification soumet la vérité intérieure aux invectives du réel.  

Que veux dire aider lorsqu’on a pris conscience de tout ce qui affaiblit ? Je préfère penser la vie démunie de perfection. Elle est le fruit d’élans incontournables prétendant à la plénitude. Je préfère m’attacher à la rationalité d’un surréalisme bienveillant. Oui, je me réfère à la notion d’aide qui percute celle de soi-même et je me ressource volontiers à l’idée d’Albert Jacquard qui nous dit : « Je suis les liens que je tisse avec d'autres ».

L’uniformité affaiblit le séant. Sans contradiction ou opposition toute l’existence demeure insaisissable. Faut-il pour autant toujours comparer ? Le démenti d’un raisonnement offre à la conscience de rivaliser avec le réel, du moins jusqu’à l’acquisition d’une forme de certitude. Et puis, que signifie être soi-même dans ce dédale d’interrogations existentielles ?

L’accident que j’ai vécu m’a déstructuré. A présent, je co-existe avec moi-même dans l’écart propice à la symbiose perdue. C’est-à-dire avec l’idée que je me fais de moi-même. Je suis à la limite sécante d’un sentiment de dysharmonie. Tout ce qui m’échappe me retourne une image déficiente. Je ne pense pas comme l’ensemble de mes congénères, je fraude la conscience collective et je bois à l’irrationnel.

Sûr de lui, l’inconscient remet en cause l’idée d’un sujet transparent à soi-même. Des milliers de lapsus révoquent l’ordre de ma raison. L’acte manqué résume le peu d’autorité que j’ai sur mon être. Être naturel, est-ce la seule opportunité pour exprimer le ressenti qui navigue dans l’anarchie de mes organes ? Suis-je, indubitablement, l’absent et le fantôme occupant une caverne dérisoire ? Avoir une identité distincte, est-ce le résultat d’une matière compacte et unifiées ?

« Pour un être conscient, Exister consiste à changer, changer à se mûrir, se mûrir à se créer indéfiniment soi-même », me rappelle gentiment Bergson.

Tout l’inaccompli tergiverse avec la connaissance. Qui domine l’autre ? L’homme social est-il l’homme réalisé ? La première souffrance n’est-elle pas celle qui nous vient de la désarticulation de notre être face à sa nature ? L’handicap me construit peu à peu, et j’apprends à entrevoir les leçons de l’existence. Je veux reconstruire la parole. 

Dans la carlingue des mots se dépite la tendre corolle des expressions du cœur. La voix s’ouvre comme la bouche d’une baleine à l’appétit démesuré. Dans l’épice des jours, j’entends toujours le cuivre des ritournelles morales qui m’accaparent. Je sais bien que la seule perfection probable de l’être réside dans la puissance de l’acte lui-même. Rien ne sait mieux dire que le geste et le regard. 

L’existence appartient-elle à l'homme ou l'homme à la vie ?

Dire et écrire vide et désencombre l’entassement des émotions qui me pourrissent de l’intérieur. L’animalité que j’incarne m’inflige de sauvages replis et voile mon désir dans les méandres d’un silence de solitude. Mon sang avide d’expressions désire la découverte permanente et il me plairait de m’offrir à la vie de telle manière que l’issue de mes rêves rejoigne la réalité. Mais, d’incessantes giclées de morale chargée de jugements intempestifs désorientent la trajectoire de mes instincts.

 

 

Extrait de : La main dans le Chapeau. - Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
S
Tant de questions ..et chaque mot ici avance une réponse. .
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