La brûlure profonde.
Le ciel n’a plus d’importance, il est lavé de ses étoiles ; il n’y a plus de repères pour les marins perdus. La nuit aussi est tombée. Elle est longue comme la langue d’un chat. Elle ronronne des souffles égarés et elle lèche les poils écrasés des moments solitaires. Le lit de ma mémoire ne sait plus que faire des heures cristallines qui cognent comme des marteaux de plomb sur le tocsin du souvenir.
Ce soir, la résistance s’habillera d’amour. On humectera le garrot de cuir qui entoure notre devenir d'escarbille, puis nous irons dormir ensemble sous le lampadaire des mers mortes. L’enserrement étouffera la déception de l’eau et de l’air. Le lasso compressera nos corps et nos cous. Nous deviendrons des poussières lumineuses. Nous flotterons au-dessus des secousses du vent et nous brillerons comme des cellules de prison où pénètre un faisceau de soleil. Une larme purificatrice se noiera dans les eaux du monde comme un flocon d’air pur s’ensevelit dans la chaudière d’une fonderie.
Je ne sais quel souvenir demeure dans la pierre qui a connu le couteau de Rodin. Le torse de la jeune femme dévoilée à mon regard a-t-il conservé dans ses nervures le bruit du ciseau qui l’a fait naître ? Une miette de feu éclaire encore la survie qui nous taraude. Je vois sur ton visage le chantier des cathédrales dont j’aurai voulu faire ma maison. Je perçois distinctement l’antre chaud où s’échouent les dons d’existence. Il reçoit l’éclaboussure des gerbes de blé tressé servant de porte-bonheur. Nos soifs saisissent massivement le sel noir qui déborde sur les berges. La brûlure profonde est immergée sous la laitance veloutée qui perle de nos cœurs.
- Bruno Odile -Tous droits réservés ©