Nous pensons trop la blessure.

Une montée de sève de la mémoire thésaurise toutes les saveurs que nous avons partagées durant notre adolescence. Souviens-toi, nous parlions de nous à voix basse, et chaque fois, il nous semblait que ce dialogue commençait par il était une fois. Nos réalités étaient des contes, des fables et des leurres. Ou bien, est-ce avec le recul que je les vois ainsi ? Je me rappelle pourtant, notre présent était projection et nous n’existions que par notre foi dans le futur. Nous mesurions l’immédiat à l’échelle de nos ambitions. Tantôt philanthropes excessifs, tantôt milliardaires égocentriques, nous aimions défier l’inconnu. Nous avions quinze ou seize ans. Et, il nous semblait que la vie débordait sans discontinuité de nos poumons. Nous respirions à satiété les parfums enivrants de la terre. 

Nous goûtions au futur sans pouvoir nous en défaire. C’était notre seule anxiété. Dans nos mémoires réunies, une heure avait cent ans. Nous étions emportés par les mots que nous prononcions. Nous étions victimes d’être cloués aux berges de l’en-vie. Nous habitions le mot avant même qu’il ait pu se répandre dans nos gorges.  

Que reste-t-il aujourd’hui de ces candides et chaleureux instants ? Nos châteaux de sable ont rejoint la mer. C’est l’océan de nos besoins inassouvis qui gronde au loin. C’est midi à quatorze heures qui sonne le cor de nos manques. Nous pensons trop la blessure. Nous retournons à nos forêts dépeuplées pour y labourer la mer qui les avait ensevelies. Derrière nous, une étrange écume recouvre nos os et nous trébuchons encore une fois sur le débours du temps imprimé. Notre mémoire est un manteau déchiré et l’échine de nos heures bleues s’est démantibulée comme un navire dans la tempête.

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©