La mémoire m’aveugle.
Le vide est notre racine la plus insensée. La meule lisse le temps, le relooke et lui offre des vêtements neufs. Prés de ce qui t’éclaire, une faux mal aiguisée scintille. Nos feux connaissent la paille. Demain, j’irai boire la rosée que l’aube laisse sur le paysage. Je tendrai les bras vers le ciel. Je serai une antenne. Nos ondes tendres prendront feu dans l’air.
Ma parole porte dans son sang un collier de morsures comme mille dents pointues. Un tour de cou, un tour de nous, une poche trouée où s’écoule la larme triste de l’attente pleureuse. Un harnais de fer autour d’une éponge de beurre. Un ventre déchiré comme un tonneau crevassé qui borde les ports clôturés où les navires ne vont plus. L’absence se dilue dans un chagrin visqueux, dans un crachin de poisse qui lui sert de foulard. Une terreur et une pitié rongent les pierres que tu as laissées derrière toi pour ne pas te perdre. Une musique claire, sous le porche de lierre, pacifie tant bien que mal les cris issus de notre abécédaire sensitif.
Dans une nuit de chine, hors de toute frontière, tout s’en va en charrette, à tire-larigot, au bout de ta prière répétée mille fois à l’écho. Sur les comptoirs vides, des riens de misère se frottent à ton enclos comme une terre assoiffée. Nous voici égarés dans les œillets de tes cimetières qu’aucune vertu ne sait plus tolérer. Crispée à ta moue comme à des vitres lézardées, la mémoire aphone m’aveugle comme une lumière réfléchissante. Nos peines s’étirent et se perdent dans ta volière blanche.
Tes yeux sont des aubes nouvelles dévoilant un couloir pour le langage acerbe des erreurs passées. Tes paupières comme des jupes plissées recouvrent le désespoir des solitudes veuves de leur ennui. Tes pensées en lambeaux marchent sans le savoir sur le verglas des absences éternelles.
Nos vies intérieures brisent la mort, brisent la vie, jumelles de sang terrées dans nos abîmes. Quelque part dans le branchage soyeux des micocouliers, nos cœurs sont des nids que rien ne protège. Notre amour est un radeau lancé à la recherche de nous-mêmes. Téméraire et fier, il ne sait rien des éraflures du songe qui l’emporte.
- Bruno Odile - Tous droits réservés ©