Tantôt j’avance, tantôt je recule.
Etre écrivain, c’est démantibuler les sons disparates restés silencieux au fond de nos ventres. Aujourd’hui, les mots s’échappent dans une fumée gonflée de vide.
Ce qui est aimé une fois seulement ne s’effondre jamais complètement. Une trace indélébile colle à notre cœur troué.
La louve s’emmêle à ses grognements, se roule dans les buissons et pisse des larmes pointues comme des aiguilles. Ses hurlements réveillent la pierre ensevelie depuis la première marée. Les ombres détonnent si forts que le jour tremble comme un enfant qui aurait perdu sa mère. Nous sommes suspendus au ciel comme de mauvais éclairs. Le ciel tombe dans nos poumons, l’air est cloué à notre souffle comme un chiffon sur la porte d’une bergerie.
Tantôt j’avance, tantôt je colle à la montagne. Des signes embrouillés disparaissent sur le front lisse de la concorde désavouée. Une bouchée de souvenirs heureux, tes cheveux en bataille et l’œil du passé jonché sur l’heure qui s’écoule. Dans le vent, la nostalgie renoue les cordes de l’arc. Ce matin, tout s’arc-boute. Les lampions d’hier sont éteints. D’étranges demi-cercles s’évaporent en fumée. La route invisible lâche son diadème et s’enfuit comme l’eau courante sur le miroir. Un arc et des flèches dans la gorge, le sommet est inatteignable et la distance est luxée. Tout ce qui grimpe plus haut retombe derrière la montagne.
Les amours perdues ferment mon pas. Elles clignotent comme une lampe sur le tableau de bord d'une fusée. Les éclats asséchés sont des briques géantes. Le mur du son éclate dans mes entrailles. J’accède, pourtant, à ce trône d’opaline givrée. Je marche sans me déplacer. Les arbres défilent comme des vagues vertes. Je suis là-bas, dans ce lieu où nous ne sommes plus. Je suis ici, où tu n’existes plus. Un amas de fougères blessées subsiste dans le ciel. Des Gavroches volant jettent des pierres au soleil. C’est la faute à l’amiante que le cœur rejette. C’est la faute à la terre, trop vite, devenue une boule de cuir.
Les amours perdues ferment mon pas comme une porte qui claque au vent. L’amour s’oublie de la même manière qu’il s’abandonne. Il est l’air que je respire, le corps qui entoure mon cœur et la main palpitante de la caresse. Il marche à l’intérieur du vent et me projette derrière la lumière. Il libère l’espace de sa transparence et crève les horizons écrasés par d’insipides besognes. L’émotion douce amère qu’il transporte m’exile de moi-même. Je me retrouve dans un autre moi que je peux toucher. Plus loin, dans la proximité de la chair, plus proche dans la distance brisée des rêves. Sa vivacité me défigure. Je me retrouve nu à l’extrémité de mes propres ombres. Je m’oublie dans les battements d’air qu’il provoque. Ma langue peut tutoyer l’être que je deviens. Tout s’efface au cœur, hormis la trace qui te rappelle. J’ai perdu mon temps à le recoudre alors qu’il est lui-même la saillie reprisant la béance piquée à vif.
Tantôt j’avance, tantôt je recule. L’air qui me retient n’a pas de prise. L’aube s’envole jusqu’au crépuscule tirant le fil du jour à l’autre bout du monde. Solitaire dans le mur qui se lamente, un caillou s’effrite. Le fond du jour interpelle les formes dissociées qui hantent la mémoire du temps. Rien ne désaltère plus la lumière. Une simple étincelle absorbe toute une vie et sombre dans le pochoir du noir total.