Toute une vie se rétracte.
Tu vois, je condamne la mort à nous décroître, à nous dépérir encore chauds-bouillants d’affections contrariées. Elle nous reflue hors des digues où s’animent avec fougue nos bras et nos gestes. Notre docilité à l’épreuve, notre désappointement fuyant, nos embrasements inévitables. L’enlacement sensuel est bridé comme un âne que l’on tire et qui refuse d’avancer. Oui, j’accuse cet abysse ténébreux d’être réfugié dans ce condom ulcéré de vie. Dans cette vie capotée et gisante comme un embryon d’étoiles macérant dans le vinaigre. Toute une vie se rétracte dans les milliards d’autres afin de devenir une conciliation inscrite au fond de chaque regard, de chaque œil, de chaque lueur d’espérance. Néanmoins, ne rien savoir de l’avenir qui termine sa course d’acrobate dans l’accident, n’affiche pas forcément la révélation de la peur. Toujours sournoise et dissimulée, elle est où l’on ne l’attend pas. Et je veux croire qu’ici l’ignorance rime avec insouciance par delà la peine et la crainte. Oui, il me plait, vois-tu, de soupçonner le vide comme l’élément d’anéantissement parfait et non comme l’aboutissement final. Je ne saurai jamais rien de la mort avant de l’avoir goûtée, et vivant je savoure l’idée d’être une poussière d’amour culbutée sur l’air impérissable. Je veux m’épuiser à vivre et à sentir toute la précarité de ma situation, car c’est bien là que je perçois le plus de douceurs troublées. A défier le néant, je me contrains à être et à créer.
Ainsi, je m’oblige à reconnaître la fragilité comme une force. Mon regard me porte à fouiller au-delà de l’horizon, et ce qu’il ne sait voir, je le vois semblable à l’infini qui me traverse. Tantôt dans la beauté, tantôt dans le fracas des abysses. Et puis, il y a ceux que l’on aime. Il y a toi. Celle qui me conduit tout droit à la lumière aveuglante de la légèreté et à la truculence du vide dans un univers illimité. Là où les grumeaux de lait sont insolvables.
C’est la décantation dans les dernières lueurs du jour. Les novices pudeurs de l’étonnement s’accueillent dans une écuelle vierge de pressentiment. Le jour s’éteint, laissant place à la rencontre de soi dans l’effondrement d’un mot et dans la fuite des regards de l’ombre. La nuit est le refuge de l’incongru et de l’inadapté. Elle est comme une soupe chaude tendue à l’avidité des ressemblances. Elle est le noir cristallin où s’assoient les doutes permanents qui laissent danser les certitudes masquées. Convictions voilées comme la lune, les soirs où le ciel n’est qu’une chiffonnade de regrets.