Le mot cet autre moi. (2)
Je ne sais plus si ma langue s’épure de l’héritage des galbes et des cordeaux de mon corps en mutation. Je n’entends plus les tentatives qui subsistent après le dire, la connivence masquée des idées et des sentis. Ma parole est anémique et déficiente, claquemurée dans la gangue des inventaires renégats. Elle cherche sa force au grimoire des peaux, dans le besoin des autres, dans la sollicitude des hommes de compréhension. Et, le mot se dérobe, fuit, s’évanouit et disparaît de toutes intentions. Le futur, à l’évidence, veut en découdre avec ce présent en transit. Dans un étang de songes quiets et muets, l’air patauge et s’embourbe.
Rien ne peut vraiment tenir debout dans l’imaginaire que je traverse. Chaque vestibule renferme un morceau d’espace où nuages et tourbillons s’entremêlent. L’interprétation s’accentue refusant d’omettre la plus petite parcelle de ce qui est perdu. Encore une fois, le monde est ce je que crois connaître. Des mots aux visages humains s’attachent et se lient comme des algues autour d’une ancre plongée profondément.
Je me persuade chaque jour que l’existence est la meilleure des choses qui soit. Mais, au fond je n’en crois rien. Je suppose naturel que nos langues roulées dans le sable cherchent l’eau douce enchevêtrée dans le bout du monde. Je dors dans une nuit glacée. Je vis entre la glace et l’exil des terres de l’enfance. L’isolement est toujours vaste, vide et silencieux. Je lutte contre ce silence qui occupe la partie intime de ma conscience. Tu t’imposes à moi comme un réconfort. Tu es un couteau planté dans le bois dur. Tu me sauves du vide. Le théâtre du monde crépite face à moi, la matière me résiste et la nuit graveleuse me rappelle les rares étincelles d’une parole déchargée d’angoisse. Ce qui nous uni n’appelle aucun regard. La poisse originelle est alignée comme une broussaille assiégeant le bord des chemins. Je suis un pèlerin voyageant dans des pays sans jardin. Mon corps trop lourd tombe toujours plus bas. Je suis un fantasme volatile et précieux. Je creuse l’air qui me fait être et je ne sais rien de l’oxygène qui me transperce. Je porte en moi la flamme haletante et furieuse des désirs inassouvis. Sans savoir pour qui et pourquoi, je brûle dans mes yeux comme une torche bohémienne sur une roulotte. Je vis dans l’aube naissante qui ne connaît pas encore l’empierrement de la nuit rigoureuse et sans artifice. Tout est un combat sans arme. Tu demeures assise sur le feu et je m’évade dans la chaleur qui t’accompagne.