Je boursoufle.
Parce que les mots n’ont rien à dire, impuissants de leurs sorts, incapables d’ajuster leurs prétentions à la justesse des intonations harmonieuses et prolifiques, il faut faire taire leurs cheminements de larbins dans le désordre affectif qui nous ensevelit. Parce que les mots n’ont pas su dire l’intégrale douceur qui s’émoustillait en moi comme un sentiment inextirpable. Parce qu’ils racontent, toujours, un peu d’impudiques fragilités comme une fêlure qu’aucun alphabet ne pourrait relater distinctement et absolument. Ils dorment dans mon dedans comme des sacs vides, des litières dégarnies, des immanences pures, transcendantales, dépassant le singulier du verbe par une surhausse impossible à définir.
Mon acuité s’étiole, ma conscience s’amenuise et se réduit à ce qui accapare mon attention, pour ne pas dire aux réflexes de mes émotions. Mon esprit suggère, mon instinct tranche. La vie inspire le verbe, le conjugue, l’associe, s’en détache, en revient, puis caracole en voltes faces. La voilà qui s’étire comme un trait fluctuant, un hoquet aliéné dans l’intermittence des jeux de l’esprit. Le mot est-il vraiment un argument ? Je voudrais te dire la couleur jaune, et pourtant, jamais tu ne sauras avec exactitude de quel jaune il s’agit. L’imprécision est de rigueur. Elle est commune à l’intime affirmation qui n’évoque que le partiel dans une esquive décapante.
Tu es presque là… A l'usure du jour, vois-tu, je ne sais plus dire qui de l'inconnu ou de moi-même active cette étrange pulsion appauvrie, ce jet nécessiteux de la nuit brassée de mystères. La nuit presque toujours s'embruine d'angoisses et de peurs ; le jour est un tel vertige d’audaces contradictoires qu’il en appelle à ses désaccords pour démentir les obscures controverses.
Oui, probablement, je cèderai... le temps venu. Mais pour le moment, j'habite la boursouflure engendrée par l’étonnement, par la surprise, par la peur de me disculper, de me réhabiliter des forfaits irrévérencieux de toutes mes petites faiblesses par lesquelles je t’ai lâchement délaissée à la douleur excessive. D’ailleurs, je pendule entre le vide et le rien.
Oui, l'espace qui cloque est gonflé de mots et d'idées qui se chahutent. Mais je ne suis pas assouvi, et il me faut me compacter davantage, encore. Me tasser et me presser comme ce vieux papier journal que l’on fourre dans des chaussures trop neuves pour accepter de recevoir le pied sans le blesser. Je suis tout à la fois dans l’avidité que créait la carence et dans l’incertitude des chemins à prendre.
L’aboutissement est souvent dans l’étourdissement où manque à part égale le trop plein et le pas assez du néant. Et, il m’est si difficile de me résumer sans me perdre à mon tour. Comme si s’alléger des créances et des sursauts sauvages de cette vie me conduisait à m’évanouir dans un état second où nulle maîtrise ne serait un secours.