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LA COLLINE AUX CIGALES
6 décembre 2011

Sur nos lèvres et dans nos regards…

delphine_rollin_nueDans cet immédiat où tout est loin. Mon désir tisse ton image et ma poitrine se gonfle comme une voile. Dans l’apparence, nous ressemblons aux regards que nous portent les autres. L’autre dans ce cas me renvoie l’image de ce que je semble être : un couteau dans le noir du cœur. Son regard tranche et découpe l’invisible pudeur de la chair qui m’entoure comme un halo de rouge épais. Mon âme se détache comme une barque se défait de la corde qui la retient. L’espace est clos, sans vagues. L’horizon n’excède pas ma pensée. L’œil qui me retourne le crépitement du monde humain ne sait rien du bonheur et de la souffrance qui me sont intimes.

Mais ton regard a la lumière des étoiles qui me ravissent. Tes yeux sont des rivières où court la foule qui m’infiltre incognito.

Je suis moi-même un hall de gare. Je suis traversé par ceux que je rencontre. Je suis visité d’anonymes silhouettes qui me parcourent à la hâte. Des chiens promènent sur mes trottoirs, des oiseaux dessinent des formes dans mon ciel, des parents proches occupent les allées parallèles aux rails qui s’étirent vers d’autres gares.

Me réconcilier avec le vivant, c’est pénétrer la vague du temps pour y devenir orages, pluies, vents, tourbillons avant de me décomposer dans l’apaisement des jours de grève où s’épuise la révolte. Mes désirs sont des troupeaux de moutons broutant les rêves ardents pas encore épuisés. Comment pourrais-je te parler des mots blessés, des prières crispées, des aveux aux conséquences incertaines autrement qu’avec pudeur ?

Il reste tant d’heures abandonnées, pliées aux léthargies des mémoires, englouties sous les cascades des peurs et des violences. Ma pensée est un abri de fortune, et ma parole se creuse, s’avale des sanglots restés en suspend.

Tout s’enflamme alentour. Rêves de chiffons et parfums du monde confinés dans le sommeil des ombres. Recommencer et mille fois refaire le nœud qui enserre l’émotion, applaudir ce partout-nulle-part évasif qui s’époumone et disparaît. Recommencer en soi la construction de l’heure et des mots inaccessibles pour dire, témoigner, et s’étancher de l’oubli comme l’on assèche le temps devenu inutile. Comme l’on finit de brûler l’horizon dans le balbutiement des voix qui persistent. 

Nous ne recommençons jamais parce que Toujours s’inscrit dans la lézarde des fondements qui sont les nôtres. Et, même, si nous pouvions refaire, nous traduirions, sans aucun doute, les effrois à l’identique, les joutes et les rires aux échos de nos enfances. Nous n’avons rien à perdre. Nous ne possédons rien. Pas même toi, logée aux sacres de mon sang. Pas même, toi, inscrite aux passages obligés des forges de tatouages ineffaçables. Nous ne possédons rien que nos acquiescements. Consentir est souscrire à l’existence dans sa force et sa vigueur. Te sculpter c’est croire que mes mains sont des ciseaux, que mon existence est une pierre, que mon cœur est un artiste.

Aujourd’hui, je suis ce qu’on pense de moi… Et, toi, dans la tirade et le lexique, tu m’as offert de te créer une deuxième fois comme mille. Car, tu es désormais ce que je pense de toi, à ta place. Et, toi, dans les ombres glissantes, tu étoffes la pensée de mon discours. Tu es dans le vacarme du monde, et tu incarnes le silence de mon silence.

Je suis dans le creuset de ta voix, le filament accentué des tirades pagnolesques - tu me fends le cœur -, le renoncement, la capitulation, et l’acceptation où se brisent les rêves.

La mise en ordre du présent retentit et son prolongement s’échappe dans la poisse glauque des murmures traduits par l’existence.  

En finir avec ce brouillard acoustique qui perturbe, cela ne veut rien dire. On n’en finit jamais avec soi. Tout nous parait toujours insurmontable et inconvenant. Nos vies ratées le sont dès le premier jour. On n’aurait pas dû naître comme nous le confit Cioran. Cependant, on est là.

Nous viendrons à bout de l’air. Nous viendrons à bout de la surenchère qui nous réclame toujours davantage. Notre temps est une poignée d’étincelles, et nous en saupoudrons nos lassitudes pour leur faire miroiter l’inconséquence qui nous lamine. Le renoncement perçoit quelque chose dans le corps et peut-être dans la pensée. La révolte s’acharne à vociférer le manque parce que l’absence s’est logée dans la chair comme une perspective inatteignable.

Il est des heures où le réel ne peut s’accoutumer à l’idée d’une vie exténuée par l’attente et le départ. Les quais de gares sont des lieux de croisements où se froissent les mémoires. Ce qui reste et ce qui s’en va, la solitude le boit jusqu’à l’ivresse du désarroi.

Un sourire à la croisée des regards anonymes, et c’est déjà le train qui démarre.

Sur nos lèvres et dans nos regards, l’abandon glisse sa lame froide. Les serments n’auront pas suffits. La résistance s’est construite dans l’impuissance et l’abnégation asservies aux désastres de la tragédie des hommes.

La peur nous ensevelit et nous recouvre de ses brûlures. Incise, l’heure tremblante est une débâcle, une déroute. Nos mains sont des lianes, des tiges ligneuses nouées aux obscures profondeurs de l’éternité. Nos bouches s’abreuvent aux sources chaudes de nos humanités. La brûlure du premier jour s’enterre dans nos visages comme une lune va creuser la nuit pour refléter son immensité immobile. Chaque courbe de l’horizon porte en elle tous les chemins des hommes, tous les égarements, tous les espaces disparus que nos rêves grignotent peu à peu dans la discrétion. Le rêve et l’espérance s’accordent pour dénoncer la douleur inopérante du vide qui fait garrot.

 

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