Écrire comme on meurt de ce qu’on vit.
Écrire, c’est se désapproprier du feu qui est en soi. C’est s’abandonner à l’air, c’est passer avec lui, c’est se résumer dans le souffle. C’est se jeter hors de soi avec la furieuse envie de se sentir plus léger.
Le silence abdique sous l’autorité des émotions fougueuses. Je n’écris plus pour te dire, mais pour exulter de moi la graille tournoyante de la puissance qui me ronge. J’écris comme je me parle en moi-même.
Les fuseaux horaires de la parole décalent le présent. Je suis intimidé par la pulsion narrative. Je n’ai rien à dire d’important sinon moi-même, mais je nettoie ma pensée comme on lave de la vaisselle. J’essuie mes ombres comme une porcelaine. Tout est moite jusqu’au moment du vent. Je ne maîtrise pas ce que je deviens. Je sens que le temps ne me le pardonnera pas. Je sens l’inutilité du détachement. Toute la nuit se désempare de la nostalgie du jour. Je vire comme une baudruche s’empale sur des yeux anonymes. L’extérieur n’a rien à faire ici. Je suis dans l’ailleurs, mais dans l’ailleurs qui est mien. Je ne cesse de me reconstituer de ce que je ne suis plus. La foudre s’abat sur ma langue et aussitôt ma main relaie les mots qui montent jusqu’à mon vertige. Je ne te parle plus, je me parle. Ma salive, c’est toi.
Écrire, c’est s’effondrer. Après la glaciation, j’imagine que la langue se réveillera comme une prune tombe de l’arbre et roule jusqu’à toi. Tu la ramasseras peut-être. Son jus coulera dans ta bouche. Alors, nous esquisserons peut-être le verger qui nous tend les bras. Alors, le silence reviendra.