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LA COLLINE AUX CIGALES
16 août 2011

Je déréalise.

imagesCAVCI5EXNos hérédités se vident dans la béance de l’autre et nous aurons tout à l’heure la sensation d’être des géants dans un monde trop petit. Néanmoins, à la ruine de mon théâtre de mots, tu m’éprouves dans le bouillon de mon volume où tonne la criée, le tue-tête des mots qui s’escriment. Mon tricot de vie s’effiloche dans les toiles, dans les trames d’une caravelle linguale précaire, dans l’étrave cutanée du dire, dans l’écume de l’expression où je barbote, replié dans la brume translucide de ton haleine. Je vais à contre sens toucher le cimetière de notre grandiloquence, de notre loquacité.

 

Il est des moments comme ça, où il faut laisser dire à l’émotion percluse, sa vaillance emmitouflée dans les couloirs de nos déperditions. Là où aucun échappatoire n’outrepasse les dénouements de la parole expulsée des hautes vagues de tempête pour y devenir le couteau de lame fine poignardant le mot récalcitrant ; le mot râleur parmi les braillements des ouragans assassins, au pays des charbons noir d’épures éthyliques, aux langues d’huile, graisseuses de la mort, qui se broussent aux vulgates embourbées dans l’imaginaire facétieux, et qui se dressent comme des champignons vénéneux sur la part égarée des visages portant la ride d’un verbe comme une blessure intemporelle.

 

Oui, il faut laisser dire et puiser dans les réserves de mots. Là où transpire le mercure des grammaires. Parce que dans cette nuit d’absence remue encore la syntaxe gigotante comme un agneau refuse d’être séparé de sa mère. Regarde, la voilà qui étrangle vainement la faille où s’avance le crachat du néant : le graillon de pauvreté qui mâche les voix entre ses lèvres de caoutchouc !

 

Et, si je reste muet pour dire quelle torpeur décline les signatures constantes de mes sources ensevelies, c’est que je rampe de tes cheveux jusqu’aux machiavéliques rançons de l’horizon, cherchant à m’enfuir de moi-même, de cet emmurement des syllabes où frappent constamment les rafales tournoyantes qui me font démâter sur les mots polis, les mots d’augures lisses, les mots dépourvus de références, les mots liquoreux et pourtant sans alcool.

 

Oui, je me souviens d’avoir habité le désir comme des termites logent un tronc d’arbre et rongent jusqu’à la moindre goutte de sève. Je me souviens aussi de cette bouche d’agrafes, de cette fermeture coulissante rompant avec l’habitude de la détresse conservée de la solitude. De ces grandes radées d’angoisses façonnant le néant immergé d’une ossature clinquante dans ses bégaiements d’artifices. De ce retranchement indolore où s’alignent comme des soldats de plomb les carences bâillonnées.

 

Et puis, regarde combien j’accoste à l’imprévu dans son magma de soudaineté. Regarde combien la vie s’écoule et s’emballe malgré soi.Tout se joue tout seul. Je deviens le spectateur ébloui et endiablé de mon écriture. Emporté. Je suis emporté. Les mots sont ces grumeaux d’encre qui se diluent, s’ancrent, prennent formes avec une autonomie stupéfiante. Sensation que rien ne m’appartient. Que je ne m’appartiens pas davantage. L’émotion file la buée, tresse les bouffées regorgeantes, jaillissantes d’un tréfonds obscur. Une lecture claire pourtant s’affranchie, rougeoie, prend la main. Ce qui s’inscrit semble le faire tout seul. Une grâce inespérée autant qu’incongrue s’immisce subrepticement sans qu’elle soit véritablement conviée. Des mots naissent. Une idée s’accouche. Les phrases cheminent comme des arabesques, des métaphores. Quelle est donc cette force qui me contrit ? Un instant à réfléchir, un simple instant et tout s’effiloche, s’évanouit. Et, je ne sais, s’il faut se repaître de cet état jouissif où l’emmurer au plus vite ?

 

Un ébrouement inattendu. Comme si quelque chose se libérait de moi sans que je puisse ni le saisir, ni l’orienter. Et puis, une déliquescence. Une fatigue. Un sommeil ou plutôt une somnolence inopinée. Un état fragile où s’atrophie ma conscience. J’ai l’impression de me retrouver dans un état larvaire, embryonnaire. Je sens des picotements se rassembler sur mon épiderme. Une stupéfiante et mordante sensation de légèreté comble cet affaissement impromptu. Je n’écris plus. Je suis embobeliné dans le mot, dans son expression. Au centre de ce capitonnage s’affirme une sérénité étonnante. Jamais connue.

 

Est-ce donc cela que l’ivresse de l’amour associée à sa douleur complotent communément en cet instant fou ? Je ne sais plus. Je dois dormir. Je dois rêver. Je dois me reposer. Je « déréalise » comme on dératise un lieu où être affamé, c’est être vivant.

Nous sommes d’insipides reliefs coincés sur une terre d’artefacts qui nous fait tourner en bourrique, et nous trimbalons tous nos fantasmes comme des décors de noël dans l’extrémité de nos cinq saisons, la dernière plus que les autres aux antipodes des rêves.

 

S’il existe des rêveries vaines, l’imaginaire ne l’est pas. C’est même le Creusot insaturable de nos alchimies les plus performantes. Lieu non déterminé par les regards des autres, lieu d’excellence où naviguent nos insuffisances, lieu empapaouté des tribulations du monde, et seul endroit où nos misères peuvent encore nous émerveiller. Nos cœurs blessés savent la nocivité des désirs excessifs. Ceux qui abattent sans rechigner toutes nos résistances ou nos inactions.

 

Mais, il faut laisser dire et ne pas rêver dans des fosses où ne pénètre plus que l’exode de nous-mêmes. Je préfère occuper le songe comme une fiction où se prolonge la conscience qui ne se dispute plus avec le réel. Et, laisser dire, car c’est dans l’accomplissement de ta forme indiscernable qu’il m’arrive de dessiner les plus beaux souffles, les plus étonnantes spirales, les plus expressives formes gribouillées à la malice rusée de l’engouement. J’y entends le doux cri de la tendresse de mon cœur qui t’accueille et la plaie débridée de tes lèvres restées ouvertes dans la grâce voluptueuse de la lumière où saigne l’irrévélé comme une douleur accrochée au soleil.

 

Laisser dire. Parce que la souillure des événements passés devient peu à peu la sueur des bouffées de jouissances qui s’accouchent comme une campagne muette où s’engendre la vie et où s’épuisent les mirages inconsolables. Il aurait fallu pouvoir être là, juste là, avec le mot dont la seule proximité est le bonheur d’une jeune pousse grimpant dans la pénombre de la forêt. Avec quelques rêves en bandoulière. Avec des silhouettes découpées dans la soif qui s’incrustaient aux reflets de nos brillances pas encore saturées. Comme une coupe de silence, dans la traduction des solfèges s’échappant de la main qui la tient. Avec quelques sourires dans la besace où les étourneaux enfournent des cris à crever les nuages. Comme un chant de neige fraîche, frémissant dans un bain où mijote la joie irréductible, le meilleur qui farcie la panse. Comme une pluie de plumes recouvrant les quelques grimaces restées dans le sac, dans le gibet à roublardises des transparences joueuses. Aux creux des flagrances en fuseaux où s’inscrit l’heure dans l’ombre d’un ricochet d’aiguilles. L’amour qui s’enlace dans la griserie des rondes sans fin de l’éternité rêvées par les hommes. Dans le buisson des songes sans langue, la poussière de feu sous les paupières du temps où respire la ride fluette derrière l’invisible.

 

Je serais ta suie et ton flocon indissoluble lancés aux cristaux des espoirs nus. Dans la fontaine de tes eaux claires se rince le grésillement qui accompagne. A l’entaille des mots qui se retirent, je m’invente de toi pareil à une larme jumelle.

 

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