Le jour perdait son sommeil dans nos yeux.
Lorsque je me tais, je sais toute l’eau qui suit la pensée qui s’efface. Je sais le bruit qui continue à crier dans ma bouche. Du feu mal éteint, je sais la fumée que j’avale. Toi, disparue dans l’amour qui me possède, je sais la nuit qui se contrit et le jour qui se disperse.
Je suis resté blotti dans tes yeux, et je suis parti avec toi. La plaie ne saigne plus, elle plait à mon palais qui la goûte comme une goutte de rosée. Il y avait des cailloux qui roulaient sans mon regard. Il y avait un sens pour la durée et un autre pour les secrets préservés dans le sillage des navires. Il y avait nous et le frémissement des souffles de l’aurore. Le jour perdait son sommeil dans nos yeux. Et puis, le murmure des roseaux, et puis le jardin d’étoiles où je te reconnaissais.
J’écoute ma propre voix qui me parle et c’est le forçat de mes enfers terrestres qui me raconte les piétinements du silence inhumain où tu te caches. Tout me semble en désaccord, mon désir et ma folie, ma rage et la lame aiguisée des regrets. Il me faudra une poulie pour remonter de mon gosier le printemps qui voudrait fleurir. Je te veille depuis si longtemps, qu’il faudra forer les ombres qui dorment pour retrouver le premier jour.
Dans l’écho le transfuge s’est engouffré. Les citernes à mazout brûlent la matière. Et le vide occupe un être sans nom. Le seul espace qui bouge encore, c’est ma pensée. Et, elle flirte les lèvres du renoncement. Tu es restée là comme une momie et je te voulais sirène sur le chemin de mes doigts. Je te compte : un, deux, trois… et c’est colin-maillard qui a raison de moi.
Dévastateur doucement… L’amour : une arche ? On se croit arbre, on n`est que reflet de feuilles et d’ombres. Une chiffonnade narcissique plonge dans l’œil qui regarde.
Ta mer est à l’autre bord du jour. La rive d’en face pleure des galets. Un tapis de mémoire recouvre ta langue. Tu ne dis rien. Les vagues ont pris ta voix. Elle claque à l’horizon et clapote le ciel.
Lumière propice à l’effondrement… Un sursaut saute les haies. La paille dans tes mains, le noir s’essuie sur le coin de tes yeux. Un instant savoure la traversée. Une vague plus forte éclabousse le tablier, des gouttes de flammes embrassent mon regard solitaire.
J’ai traversé la montagne pour connaître ta plaine. Un voyage imaginaire sous les eaux tropicales. Des arbres et des fougères, de la mousse verte sur les genoux de ma soif où la forêt devient un sablier de grains jaunis. Une saignée dans la roche devenue bouche. Et puis tes lèvres comme un bateau où flotte l’éternité.
Regarde, traduire le goût de tes lèvres oblige le verbe à simuler pour définir pleinement la joie profonde qui monte d’on ne sait où. De cet ailleurs qui nous hisse comme des cordes tendues. Il se meut dans la discrétion, funambule assermenté de nos cauchemars et de nos rires. Ici, une touche, juste une vibration indicible, un souffle de trois fois rien. Tout de toi est invisible. Tu es dans l’éclair, dans la futaille rageuse des pensées glauques, et dans la pluie douce des sourires qui se moquent des apparences. Invisible aussi l’onde légère qui accompagne le ruisseau de mon cœur où se dessine ton visage à mille reliefs et à mille refrains. Ta voix danse à l’intérieur de ma peau, et les déguisements dont je m’affuble défilent tous seuls dans les veines du temps.
Sous la paupière, le rêve décoiffant… La parole ne dit rien de la langue du cœur, où si peu. Alors, elle s’invente sans relâche pour semer des graines d’espérance dans le corps des raisons. Là où germine l’inconscience des laves qui figent nos fruits et nos cueillettes. Nous ne sommes pas fait l’un pour l’autre, nous sommes l’un dans l’autre à la découverte d’un espace non franchi. où se retrouvent nos balbutiements à essayer de se guérir d’une plaie à jamais béante. L’amour et le mot coexistent dans une tourmente où se rassemblent nos langueurs et nos faiblesses. Elles gravitent ensuite dans une forme d’insignifiance propre à nous déshériter, dans une figure géométrique dont on a perdu la formule et dont le temps accompli sa déformation.
Nous voilà délogés de nos fondations sonores où se dépècent nos sources dans le miroir d’une langue.
La nuit et le jour se parachèvent mutuellement pour laisser supposer au rythme du temps que c’est lui qui donne le tempo. Or, nos tressaillements jazzent comme des lilliputiens qu’aucune loupe ne saurait mettre à nu. Notre danse est le flottement de la perspective de l’indéfectible renoncement. Car, il nous faut abdiquer si nous désirons offrir le miel de nos haleines. Il nous faut capituler à la grandeur qui nous élève hors de nous comme un végétal à la poursuite du soleil. Des cils poussent sur le regard du monde et nos yeux épousent l’invisible.