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LA COLLINE AUX CIGALES
3 mai 2011

La vitre qui nous sépare est incassable.

L’essentiel peut-il s’exprimer ? La parole est une espérance vivante. L’essentielDSC09360 ne peut tout dire. La voix n’a de parole que lorsqu’elle clame son besoin à la compréhension. Parce que les muets se servent de signes en même façon que nous de la voix, tu comprends mes codes, tu entends mes manifestations à te dire ce qui à l’intérieur de moi chaloupe comme une barque fragile. Et puis à ton tour, tu me parles, une ancre dans la bouche. Tu écris l’écho soudé à tes mains. Nos peaux deviennent des évangiles d’amour qui s’extirpent des eaux tumultueuses qui nous traversent. L’essentiel se résume, il converge aux notes d’eau qui lavent l’instant, il touche aux grimaces des sens et délivre de l’oubli, ruiné, décimé, dispersé.

Savons-nous exprimer autre chose qu’une pensée primordiale ? Tu vois ma sœur, ma parole s’inonde de l’espérance en mouvement. Je fais ce constat accablant de l’enfant que j’ai eu été et je me souviens d’anciennes crises de larmes où le sanglot étouffait les mots. Où l’angoisse terrible nouait la gorge au point de retenir prisonniers les sons organisés dans leur propre sang. Ces mots là se sont tous transformés en de mortelles piques. Ils sont devenus assassins des mimésis perdues autant qu’ils sont restés enfouis dans le tréfonds de ma ténébreuse mémoire. 

Sentinelle : il ne peut y avoir de vie sans que ce soit ma vie. Comment prétendre à l’amour sans que mes affects soient nommés intelligibles ? Comment ne pas supposer une corrélation infinie entre mes sens, mon corps et la raison qui navigue dans ma conscience ?



Tandis que les cathédrales se dissolvent dans les tableaux de Monet au profit des jeux de lumière, ce qui est abstrait s'affranchit des représentations figurées.

Ne suis-je pas le monde dans son fragment vivant, dans son infinité et dans sa bonté corrosive ? Mon cœur et mon essence brûlent aux quatre vents comme des bougies sans cesse rallumées. Le monde qui est en moi abonde de sensations. Solipsiste, le réel de mes sentiments n’a de corps qu’à la mesure des vibrations que lui procure son tremblement. Imparfait je n’en traduis qu’une parcelle. Je sais que mes sens peuvent être fourbes, mais sans eux, je serais bien incapable de t’évoquer le feu comme une substance brûlante. Et puis toi, tu m’éclabousses des ressentis, de sonorités, et tu donnes un rythme à la mer qui m’envahit.

Dans ma raison cohabite le superflu et la dérobade. Le mirador s’effondre lorsqu’il ne peut n’y avoir de folie qui surplombe la mienne. L’ignorance devient alors une liberté brute. Et de fait, le langage ne démontre son utilité que lorsque je le rends utile. 



Je respire donc je suis. J’imagine donc je crée. J’aime donc j’existe...

Ce qui ne s’écrit pas ce sont les soupirs restés collés sur les flanelles fragiles de l’émotion. Ce qui reste invisible dans la transparence stoïque du voyage c’est l’effort que fait le compas pour tracer des cercles. Ces mêmes cercles tantôt haillons, tantôt baillons, par lesquels nous traversons les maillons de la chaîne d’amour afin d’infléchir l’existence à nos courbes. Parce que nous nous inscrivons dans l’exception d’exister, dans une forme d’oubli amassé et compacté. Parce que nous nous inscrivons à cette toile bêchée d’amour et que nous enfourchons les sillons déjà tracés par les rencontres des gaz et des couleurs stellaires. La conscience courroucée par la privation et l’insolvabilité peut enfin s’abandonner, se livrer, jouer et jouir dans un perpétuel présent où la vie se réinvente. 



Se déshabituer à croire sans pouvoir nommer. Se désaccoutumer à penser sans se taire. Se reformuler par l’écho incessant des questions qui n’ont pas de réponse… Dans l’échantillon du monde, voilà encore une moiteur où l’heure se colle. Malgré une brise légère et frémissante, mon aire de solitude se lève pour fermer les fenêtres, tirer les rideaux pour ne plus entendre les bruits du jardin, de la rue, des passants. Même les cigales. (Je suis homme de la Méditerranée). 

 

Le vide oblige tant le silence. Le décharnement des étoiles se fait dans les abysses des rêves devenus des cauchemars. Aussi, je m’enroule dans ma mer de tissus périssables, dans ma tisane de romarins, dans mon eau de solitude tronquée. J’essaie de lire dans chaque crépuscule le fond de lumière duquel je pourrais m’abreuver. J’essaie d’extirper à mes nœuds de noir la souplesse tordue qui crie encore sa famine et son désarroi. J’essaie de t’écrire ma fièvre devenue dure comme une pierre. Quelques pages suffiront. Quelques mots à attraper à l’épuisette. Quelques sensations imprécises enchevêtrées dans mon vestiaire de rituels usés. Mais, dans le liseré de la mémoire, l’ourlet contient de la pudeur. Une pudeur rayonnante et réprimée, trop chaste pour s’entêter à préserver dans la marge une émotion pure. Un état d’impuissance protégeant de sa gangue impénétrable le souffle clair déposé sur les surfaces frissonnantes à foison. Tout est si vaste. Aborder l’amplitude c’est accepter une place. La place de l’ailleurs silencieux qui est en soi.

 

Parce ce que dans le non-dit existe aussi des rivières qui brillent, des mots expurgés comme des vomissements qui courent dans le tourbillon des eaux brouillonnes. Et si mon silence échoue quelquefois à te préserver du volume à dire, du trop fragile à transporter et du trop cru à vivre, c’est parce qu’il cède à l’excès de glaires qui retiennent en leurs sécrétions les acidités perçantes, et les venins de toutes sortes. Je me cramponne pourtant à cette langue clouée ici. Et si je ne devais pas parvenir à purger les veines de leurs dépôts de cire dure que je puisse au moins tenir encore debout malgré le tremblement de l’aire ouverte où mon âme se pétrifie et se tétanise. 

 

Dans cet éphémère de transitions fluettes, mon regard ne sait plus se porter sur les mots. Il n’est déjà plus là. Je ne suis plus là. Où suis-je ? Je ne le sais pas moi-même. Il me faudrait pour cela sentir la vie dardée d’émotions salutaires, ressentir le mouvement pointu, le sang brûlant, et être devenu une échappée en promenade. Il faudrait pour cela que la main touche les images de l’esprit, que la bouche mâchonne quelques bruits apaisants, que le ventre soit utile à quelque chose. Qu’il s’applique à être le refuge du généreux de l’attente. Qu’il cesse de gronder comme un métro six pieds sous terre. 

Où est-on quand on ne sert à rien, quand « être là » n’évoque aucun lieu, aucune source ?

Possédons-nous des îlots si mouvants que nous ne savons jamais sur quel océan ils dérivent ? Je suis flottant… je flotte. Est-ce donc cela être léger ? En est-il ainsi lorsque tu me traverses l’esprit ? Ton île à toi, t’embarque-t-elle également dans ce hors zone, ce corridor de latences bizarres et incongrues ? Ta voix est une verticale où mon espace vient se confirmer, invente l’angle pour pouvoir s’y blottir. Dis, lorsqu’on brûle donne-t-on la lumière ?

C’est bien toi l’écume qui prolonge la vague. C’est bien toi qui diffuses l’eau et le sel mélangés. Dans la forme contenue des masses d’eau qui cachent les fonds, la nuit noire est l’alliée des algues qui boivent les regrets comme des égouts aspirent les eaux usées. C’est le désir, inavoué, inachevable et intransigeant qui gigote, c’est la convulsion de l’heure nue penchée sur le temps perdu. L’horizon a ses lignes de fuites obstruées. Seules quelques parallèles donnent l’illusion d’une quelconque profondeur. La vitre qui nous sépare est incassable. Le verre a été malaxé par toutes les défaillances du calcaire, de la soude et du sable. Et l’on ne se voit plus autrement que par les yeux du rêve qui nous porte.

Nous sommes les seuls témoins de nos rêves. Dans cette faille où la vie recule sans bruit, chargée de ses chaînes et de ses cailloux. Dans le regret des forges où aucun progrès n’est possible. Dans l’asphyxie d’une apesanteur troublante où seules les couleurs participent encore à l’ébauche de l’infini. L’interminable épouse l’éternité qui se rapproche de nous peu à peu.

 

C’est un fait, je porte en moi cette ombre disparue comme une lune sans Pierrot. Il faut désormais que la mer se retire de l’île que tu occupes, il le faut absolument. Il faut donner un nom à cette terre immergée de mon cœur. Il faut donner un corps à cette patrie moulue de rêves et d’illusions. Que j’en sois. Que j’aille au cœur de mon cœur dans le chavirement perpétuel des ondes qui s’écaillent avant de rejoindre la poussière du monde. Dans un amas de souffles convertis à l’irrationnel, dans un état d’âme où plus aucune projection ne subsiste, loin de tout formatage, de toutes représentations ordinaires et communes.

bouguereau

Jusqu’à présent, chaque jour a inscrit son message plus ou moins descriptible, cependant je le sais, ceux à venir porteront la caresse de nos cendres. Je respire dans ton souffle. Tu me l’as laissé comme une évidence gorgée de toi. Le chant de tes plaintes a bridé le mien. Oiseau, tu volais sur les icebergs à la dérive, maintenant colombe, tu as fait fondre la colère des glaces qui rétractent, enserrent et retiennent les foudres comme les obus de la dernière guerre qui n’ont jamais éclatés.

Je suis dans ta mort comme échoué. La mort qui n’est qu’une absence ne sait rien de ce qui lui succède, de ce qui reste vivant malgré la défection des corps qui marchent de mon être comme des ombres chinoises.

 

Une solitude nouvelle arpente mon regard d’homme perdu dans l’immensité des brouillards de l’existence. Mon désir de lumière révoque mes tourments à te savoir danseuse de couleurs parmi les clairs obscurs impalpables. Dans mon regard, plus rien de solide, et ta silhouette fume comme une mèche que l’on éteint de ses doigts humides.

 

Mais puisqu’il me faut devenir, quoiqu’il en soit, le survivant à cet abandon, à cette lâchure-déchirure, brisons les scaphandres lourds qui nous enfoncent dans la lave bouillonnante de nos volcans, ne nous bastons pas des limons incandescents, et dérogeons à l’incipit congruent qui déloge la brûlure pour la porter aux cendres froides. 

 

Nous sommes un vide qui s’épuise de chaque nuit. Une boursouflure du rien qui devient dur de noir à force de s’éteindre. Et dans ce grand lendemain hérité, tu es devenue ma confession souterraine, un falot écarlate, une innocence de l’imprévu. Il s’agit de taire les agitations, de se taire soi-même et d’écouter la grande machine dans laquelle on est enfermée. La joie c’est notre cœur qui s’agrandit, s’élargit jusqu’à engloutir la plus frénétique seconde à vivre. Du moins, je le présume.

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Commentaires
B
Nath : <br /> Je me possède autant que je me dépossède. Je suis tout à la fois le courant d’air qui me transperce et le passager errant. <br /> Le repos m’évoque le sommeil. Et, c’est dans ce dernier que j’ai parfois l’impression de m’agrandir.<br /> Encore merci pour tes témoignages.
N
Je pense pouvoir te dire que tu présumes bien B.<br /> " Aborder l’amplitude c’est accepter une place. La place de l’ailleurs silencieux qui est en soi."<br /> <br /> Là est l'air qui te fera respirer, un ailleurs fécond, une sorte de quittement terrestre, une manière autre de poser son regard , une nouveauté sur laquelle se poser, mais qui ne te détachera pas de la vie...c'est le moment crucial du navire, l'ancre un peu se détache , un peu seulement...guidé par cette étrange lumière qui sort de ses cheveux, qui agrandit le cercle, qui appelle au repos nécessaire...oui B., nécessaire , si nécessaire...<br /> <br /> Nath
B
Tu sais, Sedna, ma première douleur est de vivre. Et pourtant sans être maso, j'aime cela. <br /> Je me cherche, aussi. Et, j'apprends à concéder à l'ignorance sa part resplendissante. <br /> Merci à toi, tes yeux qui me suivent me sont agréables.
S
Au-delà de ce silence que tu ne peux vaincre, tu portes cette part de rêve dont tu nous fais témoin. Tout en respectant ta douleur, j'en arrive parfois à me prélasser dans ton discours si puissant et si beau. Je me cherche aussi dans tout ton questionnement.. mais je n'ai pas encore de réponse sur l ailleurs silencieux qui pourrait être en moi..
B
If et Jo :<br /> Merci de vos commentaires illustrés. D'un côté le temps est froid, de l'autre il défroque les nuages. Mais de toute parle, il dispose de nos coeurs.
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  • Dépotoir et déposoir de mots, de pensées... Ici repose mon inspiration et mon imaginaire ; une sorte de maïeutique effrénée et dubitative et il me plait de pouvoir partager à qui veut bien.
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