Tu n’es plus là.
Il faut reprendre souffle. Des milliers d’heures vacantes sont restées dans la brume. Nos gestes sont maintenant des faucilles. Nos regards penchés vers le bas scrutent silencieusement le sol où sont tombés nos étoiles. Le mouvement sarcle encore les vestiges de la mémoire. Des amas d’oubli sont à la dérive. L’éloignement définitif rend coupable l’existence qui n’a pas su relever la tête. La séparation endigue l’étendue ancienne devenue une lande nostalgique. Nos pieds et nos cœurs s’embourbent à demeurer statiques. L’immobilité refroidit nos corps de misère. A ne plus bouger nos mains se sont tendues, désespérées. Le goût des marguerites chiffonne nos gosiers. La tourbe envahissante recouvre peu à peu nos tendresses laisser pour compte.
Ecrire s’atrophie du manque. Ecrire parjure l’hypocrisie du temps qui semble nous conduire à des renaissances factices, à des remords reconfigurés pour apaiser nos souvenirs. Nos solitudes portent le nom de l’autre coincé au travers de nos gorges. Et puis, les mots s’activent à nous éventrer davantage. Ils nous vident comme de vieux sacs remplis d’écume sèche et d’algues pourrissantes.
J’ai beau me forcer, je ne me souviens pas du son de ta voix. Elle est si lointaine. Tu me parles encore et c’est avec ma voix que je t’interprète. Notre chalutier est resté arrimé dans un port invisible, et nous le peuplons de nos fantômes. L’embarcadère grince chaque nuit dans nos rêves dissipés. Le frottement du bois et l’ondulation douce de l’eau laissent s’échapper des bruits qui paraissent venir du fond des cales. Le port est inhabité. Même les poissons et les mollusques sont partis. Seul le bateau laisse supposer une vie antérieure. L’air est humide et se colle au front. Les yeux nous offrent un spectacle de désolation. La notre plus que toute autre. Nous sommes pourtant dans un lieu qui ne nous appartient plus. Nous sommes une image collée sur le miroir. Nous sommes étrangers à nos investigations.
Nos voix se sont défaites dans la grande nuit qui monte. J’aurai voulu me délester, mais le chagrin pèse un âne mort. Il est un tombeau où demeure confinées les larmes qui le remplisse. C’est maintenant le sarcophage d’une autre vie. Quelque chose de nous se refuse à le quitter. La meule et l’étau broient le noir que nous habitons. Nos peaux sont des écorces polies incrustées au mât écroulé sur la proue.
Nos cœurs moites ajoutent à la scène des clairs obscurs où se cache la déchirure. Ce vieux navire devient le dépôt flottant de nos ignorances. Je l’entends chanter chaque jour de solitude dans mes veines sombres.
Mes mots sont rentrés dans ma bouche comme une catastrophe. Ma main les écrit sans trembler, pourtant ils vacillent et font s’écrouler le monde qui m’entoure. Je ferme les yeux et sous mes paupières un peu lourdes naissent des paysages extirpés des ténèbres. Des papillons jouent prés d’un tronc échoué sur la plage déserte. Des mouettes crissent sur le ciel devenu une ardoise. Un chien errant cherche un repas possible.
Tu n’es plus là.