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Tu sais, les mots me travaillent autant qu’ils intercèdent à mon esprit. Davantage même puisqu’ils triturent l’organisation cathartique de ma pensée ainsi que le factice minoratif des purges qui l’accompagne. Donner la parole aux mots, c’est en quelque sorte accepter de l’inaccompli son aliénation à vouloir nous faire comparaître devant le tribunal de notre conscience. Cette soif abondante et incontrôlable à vouloir absolument savoir ce qui se serait déroulé si… Ce morbide conditionnel qui remet en cause les choix que nous n’avons pas désignés : « Et si, j’avais fait… » « Et si, nous avions été… » Toutes ces hypothèses informulées viennent encore longtemps après surenchérir le sentiment de culpabilité en nous mordant comme un chien enragé. Tous ces mouvements altérés par l’atonie de la stupeur et du choc émotionnel se manifestent toujours, presque imperceptiblement, et persistent à déjouer la réalité de ses entraves naturelles. Ils se sont tus là où ils auraient dû parler, et ils parlent là où ils devraient se taire. Alors comment te dire maintenant l’asphyxie qu’ils provoquent ?
Tu sais bien que je veux te parler, ici, de la parole poétique et inacessible, celle qui vient se nicher au cœur même de notre désolation à ne savoir exprimer avec exactitude la source qui les a enfantée. Celle qui porte en elle le hurlement qui n’a pas trouvé d’issue, le cri des organes du dedans restés compressés sans jamais pouvoir se relâcher. Celle qui s’émacie et se tasse dans une cocotte-minute bouillante que l’on n’entend pourtant jamais siffler.
Une plus grande aisance à me faufiler dans l’improvisation donnerait peut-être davantage de respiration et de tonalité à la perte que tu représentes.
Nos voix clignent des paupières comme des lumières d’ambulance. Nos souffles s’enveloppent dans nos cellules et nous survivons.