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Le temps s’écoule… malgré tout. Et, hier encore dans la fraîcheur de l’herbe d’une aurore naissante, et aujourd’hui aux pointes mûries des blés jaunes. Des coquelicots se fanent.
De l’expérience des jours amassés et entassés sur le rebord des mémoires, des grains moirâtes gorgés des soifs de popeline restées ouvertes, béantes comme des plaies aux sutures trop vite cousues, trop vite refermées et qui vont finalement cédées aux turbulences : des brisouvertes concédées à l’appétit inégalé des fouilles intestines qui cherchent comme toujours l’argumentaire, l’explication qui expliquerait l’inexplicable. Le foin quoi !
Le foin des bouches comme des moissonneuses-batteuses, le foin qui resquille le chapeau de paille planté là, au nu d’aucun décor et qui recouvre pourtant l’ensemble. Et qui résiste aux vents, et qui fait peur aux oiseaux, et qui se joue de la silhouette qu’il est censé chapeauter.
Que reste-t-il d’une vie de souvenir alors que la mémoire s’oublie peu à peu de ses registres bien classés, de ses événements de vides greniers, de ses casiers à breloques, de ses brocantes percluses ?
Par quels mots dire ? En quelle friperie verbale patauger ? Dans le calme péril des empreintes originelles s’efface chaque fouille, chaque recherche, chaque rumeur, comme une écriture du temps engourdie, endolorie, qui n’a pourtant de cesse de contracter l’éphémère s’accomplissant encore vers l’avant comme des traces de buées qui ne durent qu’un instant sur une vitre embrumée où se dévoilent à peine les pages qu’hier nous avions écrites.
J’ai le souvenir d’un berceau perdu dans un espace sans fin, où ni lignes d’horizon, ni repères tangibles ne rebondissent, juste des évanescences floues et tremblantes. Juste le pouls à peine perceptible du souffle du monde.
Sous les semelles de la terre foulée s’est
inscrite la rature. Le copier-coller des enjambées de nains, trop petits pour
écorcher la terre, et les gribouillis de géants, trop grands pour ne pas
toucher un peu le ciel, et aussi le tendre effacement des courses de peine et
des déluges d’égarements plus impitoyables que la brûlure la plus indélébile.
Et le verdict d’être sauvé, d’être toujours là, d’avoir outrepassé, d’être
passé au travers des doutes, des joies, des crissements, des effrois, des
déchirures. Et le verdict d’être vivant, encore. De durer malgré tout. Dans
cette persistance incontrôlable qui va rejoindre l’aboutissement, le fin fond
de l’existence, la terminaison, la dernière gare.