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LA COLLINE AUX CIGALES
23 janvier 2010

A la rencontre de l’invisible.

violon

Quelque chose s’est creusé ici, sur cette faille déjà vivante, sur ce terrain libre de tout accès. Quelque chose qui étrangement délivre la parole, lui confère un sens : le sens de chacun dans la diversité de tout le monde. Tu t’interroges, tu interpelles, tu penses avec tes images et tes sentis. Aimer n’aurait-il donc qu’une seule verbalisation ? Entre l’utopie et le prégnant de la réalité se défragmente l’écho de chaque défaillance, de chaque regard perdu et de tous les rêves brisés en une multitude d’étincelles. Tu voudrais dire, je voudrais exprimer, nous voudrions nous comprendre. Nous entendre à l’intérieur du langage de nos besoins.

Je te cherche au-dedans du mot que tu me prononces et n’y vois que l’éternité de mes quêtes à t’assimiler. La parole est une imposture : l’outil indispensable du discours, de l’échange, et du rapprochement. Chaque mot à la sauvette vient éclairer un hiéroglyphe à déchiffrer. Nous nous parlons pour nous évoquer et nos symboles, nos codes, nous rappellent avec insistance que nos émotions peuvent se ressembler, se partager, et pourtant n’être que les flamboyances de nos interprétations. Nos vertiges ont la puissance du frisson qui colporte.

Tant de bruits jacassent, tant de cris jaillissent comme des flammes brûlantes. Nous avons senti que chaque prison pouvait être nos libertés et que chaque délivrance pouvait ressembler à des échecs qui stagnent comme des rochers que rien ne traverse. Le désir tel un alibi à nos angoisses s’habille de nos comédies. Tantôt isurtes et débonnaires, tantôt cruelles et indélogeables, nos tribulations émotionnelles vont de la mer au soleil et de l’eau au feu dans une permanence qui interroge le temps et sa durée. Nous avons tant à nous dire, tant à noyer dans nos cœurs en forme de lacs que nos pressentiments s’intitulent dans l’illusion et que nos brouillards se rejoignent en un amas de buées que nos soupirs ont du mal à assécher.

S’appeler, s’épeler d’un mot… l’utopie comme le miroir d’ombres au creux du signe, dans la signification consentie par chacun et donc par toi aussi, nous traverse en déposant toutes les stigmates que la culture nous a inculqué depuis des siècles. Quand tu me parles que me dis-tu, que dis-tu, qu’exprimes-tu ? S’agit-il de toi tout au-dedans, de toi engluée dans les miasmes d’une rhétorique charnelle nourrit par l’événement et les charges accumulées par ton expérience ? Qui parle ? Qui témoigne ?

Portée par un désir, oui, mais lequel ? Est-ce un désir venu de nos origines lointaines et de cette faculté que nous avons à nous transporter d’un pôle à l’autre inlassablement à la recherche de la satisfaction où est-ce un désir comme une envie, c’est-à-dire un appel forgé de l’immédiat et dont la durée n’a de prise que sur une certitude molle qu’aucun futur ne peut soutenir ?

J’ai peur de penser. Peur de mes démons qui ne sont autres que ces absolus que la nécessité voudrait régie par la maîtrise d’une compréhension, d’une ordonnance de gravité dont les ressacs inonderaient mes terres vulnérables que pour les anéantir.

J’ai peur de découvrir qu’en moi est inoculé le désastre de mes origines et que les empreintes m’obligent à accepter de n’être qu’un vertige. Peur enfin de n’être que le comédien tragique d’une réalité tout aussi désespérante que méprisante.

De ma voix, entends-tu donc les tremblements qui me font chanceler et m’ébrouer comme un linge épaissi de crasses indélébiles ? J’habite tant le désespoir des mots, l’outrecuidance de l’éphémère, la part désirée du désir…

Ce que je te dis n’est pas exactement ce que je voudrais te dire et ce que tu entends n’est pas vraiment ce qui est le primitif qui me fait.

Pourtant, tout parait possible lorsque la compréhension devient ce simple fil de concordance par lequel nous nous sentons liés. Lorsque toi et moi nous percevons dans la différence, nos incapacités à nous délier de nos forges tout en caressant nos racines communes. Le muet qui est en nous, l’ardeur de nos silences, l’étranger que nous sommes en ce monde, voyageur aux aspirations miraculeuses et aux dictas d’absolu, nous voilà dans le heurt du refus de ce qui est donné ; dans l’absence des présences que nos imaginaires couvent comme des trésors de lumière.

Je voudrais pouvoir te dire je t’aime sans me soucier du pourquoi et du comment. Je voudrais croire à autre chose qu’à ses lames rougies par l’incandescence des interrogations, mais le paradigme est si paradoxal : nos mondes produits par le désir nous échappent comme des enfants qui ont grandis et qui volent de leurs propres ailes.

Indéterminisme, désordre, hasard… le chemin du nomade tranche dans le sauvage les herbes qui nuisent au passage. La machette est une voix que l’irrationnel confie à ce qui nie l’affirmation de nos prérogatives à se fourvoyer dans un libre-arbitre que le destin a précédemment sculpté pour nous.

Destin ou trajet prédéterminé par la conjonction du hasard et la masse en action, du volume transitant et transiteur d’un environnement plus hostile qu’accueillant ? Traduire par le langage est ce soumettre à son inapproprié, à sa vacuité à dire totalement. Traduire le goût de tes lèvres oblige le mot à simuler pour peindre au plus juste cette sensation de velours qui indique à la douceur qu’il y a plus fort qu’elle, plus immanent, plus interminable que l’éternité. A bout de souffle t’aimer est ce lieu qui comme un funambule marche sur cette fine lame de rasoir risquant la meurtrissure à tout instant, et qui demeure le lacet tendu entre nos cœurs distants du hiatus de leurs battements.

Tout de toi est d’un invisible que je reçois comme des foudres rageuses venues pourfendre le réel comme ce tronc d’olivier coupé en deux et qui suppose qu’implorer la terre et ses racines ne donnera pas plus de sève. Invisible l’onde légère qui accompagne le ruisseau de mon cœur, de mon corps à tes ressentis les plus imperceptibles. Invisibles ces yeux qui regardent et voient au travers de ta peau le courant qui l’emporte. Invisibles les mots déstructurés qui s’organisent en musique fluide où s’écoulent mes larmes de joie à te soulever de l’irascible manichéen du quotidien de l’ennui où nos ruines pleurent l’effondrement qui les a secoué. Invisible ton visage qui se dessine malgré tout en filigrane sur tout mon horizon. Ta voix est une corde douce comme un cuir qui épouse mes formes, comme ce bracelet immatériel que je porte autour du cœur.

La parole ne dit rien de la langue qui s’invente sans relâche pour semer des graines d’espérance dans le corps des raisons. Là où germine la non-conscience des laves qui figent et nos fruits et nos cueillettes. Nous ne sommes pas faits l’un pour l’autre, nous sommes l’un dans l’autre à la découverte d’un espace inaffranchi où se retrouvent nos balbutiements à essayer de se guérir d’une plaie à jamais béante. L’amour et le mot coexistent dans le tourbillon qui nous réuni. La nuit, le jour, se parachèvent mutuellement pour laisser croire au rythme que c’est lui qui donne le tempo. Or, nos tressaillements jazzent comme des lilliputiens qu’aucune loupe ne saurait mettre à nu. Notre danse est un flottement que la perspective de l’irréductible fond en une mousse que nos haleines boivent comme une liqueur magique. Je me signifie dans l’insignifiant que la volupté occupe. Des cils poussent sur le regard du monde et nos yeux épousent ce qui ne se voit pas.

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Commentaires
B
Tss tss.
B
Merci à chacun, <br /> de vos yeux, de vos réactions, de votre suivi et de votre gentillesse.<br /> J'éprouve du plaisir à vous traduire mes petites réflexions introspectives et à lire vos réactions.<br /> Sincèrement, merci.
M
Fort beau et belle écriture. Ce n'est plus la plume qui écrit, un coeur d'éternité a pris sa place. Bien à vous. <br /> m.o
V
A la rencontre de l’invisible, les mots qui se diffusent tels les embruns d'une vague déferlant volupté et tressaillements à l'unisson. <br /> Très beau texte.<br /> Merci à vous.
L
Extrait d'André Gorz : Une vie a aimer<br /> <br /> André Gorz, philosophe et essayiste, livre dans Lettre à D. le plus personnel des récits : une longue déclaration d’amour à celle qui est sa femme depuis plus d’un demi-siècle. Dans ce texte fort et authentique, il décrit l’amour comme une manière d’entrer en résonance avec l’autre.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> « Tu vas avoir 82 ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien. […] <br /> <br /> <br /> <br /> J’ai besoin de reconstituer l’histoire de notre amour pour en saisir tout le sens. C’est elle qui nous a permis de devenir qui nous sommes, l’un par l’autre et l’un pour l’autre. Je t’écris pour comprendre ce que j’ai vécu, ce que nous avons vécu ensemble. […] <br /> <br /> <br /> <br /> Avant de te connaître, je n’avais jamais passé plus de deux heures avec une fille sans m’ennuyer et le lui faire sentir. Ce qui me captivait avec toi, c’est que tu me faisais accéder à un autre monde. Les valeurs qui avaient dominé mon enfance n’y avaient pas cours. Ce monde m’enchantait. Je pouvais m’évader en y entrant, sans obligations, ni appartenance. Avec toi, j’étais “ailleurs”, en un lieu étranger, étranger à moi-même. Tu m’offrais l’accès à une dimension d’altérité supplémentaire, à moi qui ai toujours rejeté toute identité et ajouté les unes aux autres des identités dont aucune n’était la mienne.[…] <br /> <br /> <br /> <br /> Rien ne peut rendre compte du lien invisible par lequel nous nous sommes sentis unis dès le début. Nous avions beau être profondément dissemblables, je n’en sentais pas moins que quelque chose de fondamental nous était commun, une sorte de blessure originaire […] : l’expérience de l’insécurité. La nature de celle-ci n’était pas la même chez toi et chez moi. Peu importe : pour toi comme pour moi, elle signifiait que nous n’avions pas dans le monde une place assurée. Nous n’aurions que celle que nous nous ferions. […] <br /> <br /> <br /> <br /> J’ai toujours senti ta force en même temps que ta fragilité sous-jacente. J’aimais ta fragilité surmontée, j’admirais ta force fragile. Nous étions l’un et l’autre des enfants de la précarité et du conflit. Nous étions faits pour nous protéger mutuellement contre l’une et l’autre. Nous avions besoin de créer ensemble, l’un par l’autre, la place dans le monde qui nous a été originellement déniée. Mais, pour cela, il fallait aussi que notre amour soit “aussi” un pacte pour la vie. Je n’ai jamais formulé tout cela aussi clairement. Je le savais au fond de moi. Je sentais que tu le savais. Mais la route a été longue pour que ces évidences vécues se fraient un chemin dans ma façon de penser et d’agir. […] <br /> <br /> <br /> <br /> Sur le papier, j’étais capable de montrer que l’amour est la fascination réciproque de deux sujets dans ce qu’ils ont de moins disciple, de moins socialisable, de réfractaire aux rôles et aux images d’eux-mêmes que la société leur impose, aux appartenances culturelles. Nous pouvions presque tout mettre en commun parce que nous n’avions rien au départ. Il suffisait que je consente à vivre ce que je vivais, à aimer plus que tout ton regard, ta voix, ton odeur, tes doigts fuselés, ta façon d’habiter ton corps pour que tout l’avenir s’offre à nous. <br /> <br /> <br /> <br /> Seulement voilà : tu m’avais fourni la possibilité de m’évader de moi-même et de m’installer dans un ailleurs dont tu étais la messagère. Avec toi, je pouvais mettre ma réalité en vacances. Tu étais le complément de l’irréalisation du réel. Tu étais porteuse pour moi de la mise entre parenthèses du monde menaçant dans lequel j’étais un réfugié à l’existence illégitime, dont l’avenir ne dépassait jamais trois mois. Aussi loin que je me souvienne, j’avais toujours cherché à ne pas exister. Tu as dû travailler des années durant pour me faire assumer mon existence. Et ce travail, je crois bien, n’a jamais été achevé. […] <br /> <br /> <br /> <br /> Dans le tome II de l’essai qui devait différencier les rapports individuels avec autrui selon une hiérarchie ontologique, j’ai eu beaucoup de difficultés avec l’amour, car il est impossible d’expliquer philosophiquement pourquoi on aime et veut être aimé par telle personne précise à l’exclusion de toute autre. A l’époque, je n’ai pas cherché la réponse à cette question dans l’expérience que j’étais en train de vivre. Je n’ai pas découvert, comme je le fais ici, quel était le socle de notre amour. Ni que le fait d’être obsédé, à la fois douloureusement et délicieusement, par la coïncidence toujours promise et toujours évanescente que nous avions de nos corps renvoie à des expériences fondatrices plongeant leurs racines dans l’enfance : à la découverte première, originaire, des émotions qu’une voix, une odeur, une couleur de peau, une façon de se mouvoir et d’être, qui seront toujours la norme idéale, peuvent faire résonner en moi. C’est cela : la passion amoureuse est une manière d’entrer en résonance avec l’autre, corps et âme, et avec lui ou elle seuls. Nous sommes en deçà et au-delà de la philosophie. » <br /> <br /> <br /> <br /> Lettre à D d’André Gorz est paru chez Galilée en 2006.
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