→ B 022 – Ici, maintenant : seul de toi !
A demeure, dans la tranche alvéolée et souple de l’émotion fragile : le trépas des heures grises. Nos deux vies transpirent le monde des hommes. Celle de nos rêves juchée à la pétulance de la jonction des regards, et celle du fond de notre enfance mésusée d’acuité sur les nœuds encore fermement liés. Tout se déplie en accordéon et l’illusion s’introduit dans les interstices.
Dans nos pratiques, le débraillé de nos émotions entresuit la lecture de nos souffles. La réalité a toujours raison de la réalité. Le dépassement de soi explore. Le -dans la marge- opère la transgression d’une tête à une autre sans qu’un fil n’abrite l’équilibriste de la pensée qui le chausse.
Nos bouches sont plantées aux rendez-vous des mots et les cloisons qui nous séparent de la perception ne sont que des faux-semblants que l’apparence habite comme une loge avant le spectacle.
Attente : le sucre fond doucement dans l’eau. Les arbres savent-ils leur sève montante qui nourrit les feuilles ?
Je louche, un œil rivé sur mon dedans à mirer les tableaux et les fresques vivantes qui se diffusent comme un thé mat au goût de terre, un autre à la reconnaissance des autres et du tumulte du monde, de ses messages, de ses rumeurs.
De toute part, je reçois de la lumière, moi qui hoquette à la rencontre de chaque ombre. Moi, qui aimerais plonger dans le visible pour y percevoir le succédané des vibrations qui porte le blanc comme une pellicule invisible.
Nous habitons tous l’éternité, ce n’est que la parole des hommes qui l’en sépare. Aux courses de l’immédiat, dans le fragment de l’instantané, nos soupirs et nos désirs nous projettent hors du silence qui nous traverse de fond en comble dans sa permanence muette et dans son amplitude infinie. Nous sommes des tableaux vivants dont les croûtes se fissurent malgré notre maintenance à peindre. Et, le tableau change de figure, et l’horizon s’étend encore, et l’œuvre de vie succombe aux piquets de l’instant.
Tu inscris tes mots dans ma bouche. Je ne sais répéter le son de ta voix. Tu hisses en moi des couleurs tiennes et je me repeins de ce qui dure et passe. Nous allons cueillir le jour comme une promesse sans en saisir le fluide qui propulse nos élans. Incapables d’en soulever la robe pour y déceler toute la magnificence qui regorge d’ « un huitième jour » comme l’appelle Christian Bobin.
A demeure, l’exil n’est pas la solitude de l’isolement, mais c’est être avec soi au plus profond des possibles. En soi, on meurt seul et on ressuscite pareillement de nos parfums qui n’ont d’autres recours que de faire face à l’exception que nous sommes.
C’est ma solitude qui te parle, parce qu’elle sait toute l’envergure de son monde et tout le silence que nous pouvons partager. « Deux solitudes se protégeant, se complétant, se limitant, et s’inclinant l’une devant l’autre… »(1). Ce qui m’enlace à toi c’est le désert qui égrène notre sable au tamis de nos certitudes à nous faire frétiller comme de l’eau qui boue.
A l’imprévu de tes rêves, je soustrais le miracle de nos protubérances à ombiliquer cette part de nous-mêmes que nous habitons autant qu’elle nous habite. De vivre en-soi à vivre avec, nous écrivons communément les lignes qui nous rassemblent, loin des clairvoyances toutes faites. Notre page s’appelle caresses, douceurs et vulnérabilités. Nous sommes la frange des heures. La parenthèse des mondes, la lumière du soleil dans son rayon le plus infime. Infirmes, comme toujours, de nos néants comme de nos chaos à défrayer notre liberté à nous unir dans l’accomplissement de nos radicalités, à n’être que nous-mêmes le parcours de l’unicité plus que l’osmose transparente que nous aimerions transplanter à notre aventure du bonheur ou tout au moins à l’idée que l’on s’en fait. L’innocence dans son halo d’abîme demeure un face-à-face avec la mort, habitée par la tragédie humaine qui ne répugne pas à nous avilir de ses fausses candeurs.
Seul de toi, le monde est peuplé du sexe des jours sans morale. Quelle vanité nous loge pour ne savoir vivre qu’aux dépends de nos haches à découper les vagues désordonnées qui s’écoulent de là où nous venons jusqu’à là où nous allons. Nous sommes cette excavation qui hypothèque nos tentations. Ta main, ton bras sont le fourreau de mes galandages intimes où l’inessentiel se combine à l’amas de nos encres de vie à vivre.
(1) Rainer Maria Rilke