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LA COLLINE AUX CIGALES
16 juillet 2009

→ 80 – A l’exil de l’autre moi. (suite3)

balthus2

Il faut mobiliser le silence, l’ouvrir à l’action. Le seul silence que j’aime véritablement est le silence qui parle sans signe. Celui qui écume de façon inaudible les parcelles de mes frissons conjointement aux tiennes. Les silences de grimaces accentuent le sans bruit que les peines muettes étranglent au fond de soi. Les silences d’usure savent combien ils sont des blessures inutiles et ils crient leurs désappointements à ne pouvoir se dire. J’aime tes silences de prière. Là où tu sais t’évoquer sans mots, là où tu es ta propre complice à t’exclamer de tes sucs.

Racontes-moi encore la patience de tes calmes impatiences, dis-moi jusqu’où ta lumière t’inassouvie, jusqu’où tes ondes immatérielles prononcent ton désespoir inachevé. Et activons ensemble nos silences de nos compromissions à nous défaire l’un dans l’autre. Devenons le coquillage de l’autre où nous irons écouter la mer lorsqu’elle rage de ses vagues exubérantes la folie de ce monde qu’elle voudrait recouvrir.

Il faut mobiliser le vertige, l’ouvrir à l’équilibre des solitudes désincarnées, lui cisailler le ventre pour l’accoucher de ses troubles innocents. L’abîme tremble et chancelle de ses vides sans jamais renoncer à sa part de mesure de l’aplomb. Nous tomberons de nous-mêmes pour ne plus marcher sur nos deux pieds, nous reposerons tout entier sur nos seuls cœurs. Nous marcherons de nos rythmes à nous ressembler, à nous compléter, à nous surprendre.

Dans le tourbillon d’émotions existe un banc pour accueillir les amants. Allons communément, si tu veux bien, chercher ce lieu de décrispation et asseyons-nous un moment.

Musarder, il me plait de musarder dans ces décombres enfouis, et de flâner au bord des précipices de dissonances. Dans ce fatras de bruits incongrus, j’entends la légèreté comme un silence… un silence comme une eau claire s’égoutte à la proximité de ma chair.

Rien de ce qui s’écrit n’a la charge du vivant, le poids est ailleurs. D’un trébuchement l’habile souplesse fait des boucles et les songes deviennent ses frisettes, ses anglaises qui ondulent la chevelure des rêves. Le jeune garçon continue à désigner du doigt le futur vieillard mais le temps s’est arrêté pour se désaltérer. L’orgueil devra s’incliner et la fierté sera désuète. La chasse aux trésors de cette vie ne nous fera pas dévier d’un iota des splendeurs involontaires vers lesquelles se tendent toutes les pulsions, ni des perceptions imperceptibles de l’onde liquoreuse qui saura toujours enflammer les prémices de la jouissance. La jubilation mouchetée s’habille des combats qu’elle embrasse. Meilleur encore que le vin de mon sang, l’amour qui conduit à l’ivresse sait inonder ce que nulles terres ne savent assouvir. Tous les vents du monde soufflent sur mon jardin et mordent de mes fruits mûrs. Je cueille l’abondance mûrie et me lave de son jus.

J’ai cherché et je n’ai pas trouvé. J’ai cessé pour un temps de chercher. La plaine verdoyante accueille mes ombres endolories avant qu’elles ne fuient sur l’autre face repoussée par le souffle du jour qui éclos tel un oisillon déployant ses ailes et s’étirant des torpeurs d’un premier sommeil.

Dans une réminiscence soudaine, une gorgée de beau remonte à ma surface. Le beau et le bon s’amplifient à n’être qu’un et unique. Toute beauté me dévoile à une aptitude nouvelle. La beauté m’agrandit.

Cet autre moi-même finalement détermine ma valeur. Il dresse sans détour toutes les faces fragmentées de mes sens. L’interprétation de mes valeurs se fonde à la vie et c’est de l’existence elle-même dont il s’agit et non d’une valeur au sens hiérarchique, bien sûr. A être deux en moi-même, je m’évalue de mes perspectives. Je me résume dans cette notion d’artiste et d’interprète par lesquelles je m’explore, selon une pensée Nietzschéenne de l’unité de la pensée et de la vie. Sans plus savoir vraiment qui de la pensée où de la vie active l’autre. Je me rends compte combien penser mutile et asservi. Et cette confusion est ma fuite.

Se construire est vraisemblablement, tout à la fois, se dégénérer et s’amplifier des vides engendrés dans l’affirmative de ses oppositions.

Cette idée de descendre au plus profond de soi, au plus redoutable de l’angoisse pour y trouver une source, me plait et me séduit. C’est du vulnérable qui est en nous qu’il me semble être possible de désaltérer ma soif d’être. Ce n’est que démuni que j’entends m’étonner. Et ce n’est que la solitude de l’étonnement non partagée qui prohibe le tendre moteur de mes ferveurs à m’expatrier tout entier dans la joie qui récure l’entendement. Faut dire que j’ai toujours était un cancre à l’école de la vie.

Sous le dépliage de paroles apaisantes, le cœur dissipe son inquiétude à se mouvoir. Toujours en quête de se convaincre, son activité se régule au gré de la raison qui lui conjure de ne pas sombrer dans un quelconque excès. Et cependant, je ne saurais dire si l’excès en question est dans mon regard où dans celui de l’autre et si cet autre regard n’est pas justement celui qui m’emporte à une déraison évidente.

 

Mon cœur, il parle. Il me parle. Et sa présence me confie la part de rassurage nécessaire à affronter la turbulence. Ce cœur qui n’est pas seulement un organe aux fonctions biologiques, c’est aussi mon ami, mon confident, mon dedans intime. De lui il m’est possible de vivre tous les cauchemars, toutes les avanies comme toutes les truculences et les jubilations. Il prend généralement une emprise féroce sur mes capacités de réflexion dés lors qu’il s’enthousiasme. Il me dirige bien souvent de sa vérité. Et je ne sais même pas lui reprocher. Même lorsqu’il m’érecte à sortir de moi pour m’élancer vers une émotion branlante, je ne fais qu’assouvir ses propres emphases. Pauvre de ma non maîtrise et de mes incapacités à mesurer la démesure, je m’enrichis néanmoins au travers de ses éclosions écarlates. Et puis de toute façon, comment pourrais-je m’élancer sans m’éloigner de moi-même dans un reflet qui me porte et me transcende ?

Le cœur est cet ami fidèle qui me provoque et qui me laisse si souvent dépourvu. Il est l’enfant aveugle qui me fait être au-delà de mon espace clos et privé. C’est l’ascenseur qui me porte jusqu’aux nuages blancs de l’infini. Je ne connais rien de l’infini. Qu’il se dirige vers mon extérieur où qu’il m’introspecte de mes caves, il est tout autant en phase avec l’infini. Je ne sais cerner cet espace qui n’en fini pas, qui n’en termine jamais. Je suis limité à découvrir au gré de ses balades, aux rythmes de ses envolées, là où il m’amène, je vais. De lui je ne fais que réagir. Même lorsqu’il me semble être en symbiose avec mon esprit, je ne fais que répondre à ses altercations, ses demandes, ses tribulations.

Il est le grand acteur de toutes mes désespérances et offre à mes tristesses de se métamorphoser en joies.

Lui qui sait si bien me projeter hors de moi, hors du temps, hors de toute raison, il n’a de cesse que de vouloir m’émanciper des fourberies flatteuses de mon ego et m’y reconduit pourtant inévitablement. De ce pur moi-même qu’il me plait de penser, ouaté et immaculé, je ne sais vraiment ce qui est véritablement sain et viable.

Connaît-on jamais son cœur ? … Et j’entends une petite voix intérieure qui me dit à voix basse « mais, tu sais bien que je suis ton allié le plus coquin et le plus rusé, mais qu’il ne faut pas te démettre de moi, sans quoi tu perdrais toute saveur à te vivre… ».

Mon cœur pense à ma place et je ne sais si je lui pardonnerais d’ici longtemps, d’avoir pris pour moi des décisions qui m’ont porté au paroxysme de la douleur.

Oui, toi mon cœur, pitre mécréant, qui m’a non tari d’amour mais carabossé de toutes les peines, terrassé de toutes les souffrances les plus insupportables, dois-je insister à me vivre de toi ?

Mais combien il serait terrifiant de vivre sans toi. Je n’ose même pas y songer, j’ai bien trop peur de me référer et de me livrer uniquement, exclusivement à ma raison. Que serait une conscience esseulée si elle n’avait pas à se pratiquer de l’amour ? Un mariage arrangé ? Un arrangement … Le cœur, un arrangement ? Foi de vie, il ne se peut !

Il est si doux de pouvoir s’hypothèser aimé/aimant. Cornes de bouc !

Que n’ai-je donc senti de mes petites jalousies si ce n’est l’affirmation de ce que je suis. Même si quelquefois, il m’a semblé n’être qu’un reliquat et non un postulat, j’ai tout de même vécu de cela. La mémoire du cœur n’est-elle point la seule qui pleure de ce dont elle se souvient ?

Peut-être que de l’Amour nous ne connaissons que le sentiment qu’il traduit et non l’insondable enivrement de l’amour lui-même. Peut-être sommes-nous à nous vivre au travers du sentiment que par son exclamation. Mais que serions-nous sans lui pour autant ?

Livrés à nos seules prérogatives de séduction et de copulation instinctive, l’amour serait sédentaire de lui-même. Alors qu’ainsi, il nous déracine de toutes limites, de toutes traces sociales statiques ou avilissantes et nous offre la plus merveilleuse des « porte-ouverte » à la folie de nos conceptions immatérielles. Il nous accuse de nos splendeurs involontaires. Quel extraordinaire non sens ! L’amour est ma bibliothèque vivante, où chaque perception trouve sa place. Sans lui, toute expérience m’est inutile.

Il est aussi le chantre de mes faiblesses, l’acquiescement incontrôlé de mes prolongements à me peindre aux couleurs qui me chantent. Mes faiblesses par lui, avant que de n’être des incapacités à être, son d’abord mes plus sûres douceurs. Heureusement l’amour n’est pas souvent lucide. En ce sens en amour la lucidité est une rigidité qui laque nos souplesses à exister. Etre lucide est somme toute bon, à condition de s’en désolidariser très vite, de s’en décalquer. Dans l’amour, il ne peut y avoir de place pour l’éclairage obsessionnel de la réflexion figée.

L’amour intermédiaire comme une passerelle de ce que l’on ressent de soi en soi, ou l’amour lien tel une coordination brevetée de l’union métaphysique, tantôt l’un, tantôt l’autre mais trop vivant pour rester en place. L’amour bouscule. La bousculade de la trépignerie impatiente ou celle de pérégrinations incoercibles. L’Amour invente et s’invente à chaque moment, il est une surprise permanente. Le définir serait le revêtir d’un manteau trop grand, ou le contracter dans un cadre trop réduit. Il n’a nulle place, il est la place de l’imaginaire vécu. Le rêve n’est que son substitut, la réalité que sa clarté.

On s’échappe volontiers de ce qui nous semble acquis comme si nous n’étions au fond que des chasseurs de sensations. Comme si ce qui nous était promis nous résumait sans aucune autre alternative et que la fierté de la proie prise dans nos pièges à émotions conjoint à l’étouffement d’un sans issu, nous autorisait à une suffisance bonhomme. A croire que l’on ne s’aime que de nos caprices et de nos horreurs pour mieux nous craindre nous-mêmes et nous ôter toute idée d’appartenance, de ressemblance, de similitudes avec les autres.

L’attache rend prisonnier, l’Amour devrait rendre libre. Le dévouement doit rejoindre notre détermination et vice-versa si nous ne voulons point sombrer sous les trombes des inepties à nous accabler de responsabilités qui ne seraient que les mensonges de nos pressentiments à nous confondre comme d’autres se grattent là où chatouille le grotesque.

Et si l’Amour était répit des peines…l’appréhension du grave et des morsures de la vie aurait son jardin. Et sans doute y serais-tu la plus belle des fleurs.

Je le savais d’avance, à se soucier de soi, on aborde forcément un jour ou l’autre sa fêlure. Ce lieu précis où suintent en constance les eaux salées des refoulements de son sacré…

Je pourrais me fuir dans une parfaite indifférence et n’avoir dans mon regard qu’un désert de voix. Mais cela serait faire fi de mon cœur et combien, je me sentirais plus seul encore. Il serait probablement plus doux quelquefois que cela soit ton visage qui plonge au fond de ma douleur pour que tes yeux me rendent vraisemblable aux lumières du jour. Peut-être alors trouverais-je en cette image un peu de force à anéantir mes faiblesses. On extirpe tant de puissance au cœur de la souffrance. Et puis, je me questionne sur l’effet de mes mots écrits en chandelle sur cette feuille blanche ne sachant pas vraiment qui est plus fort que l’autre, la pénombre ou la clarté.

Il est des soirs où l’on n’a plus envie d’être ailleurs, où l’on voudrait se rassembler d’une seule pièce et tirer les draps pour se recouvrir, s’envelopper de la ouate de la nuit pour se laisser mijoter comme on le fait d’un ragoût auquel on a ajouté quelques liants aromatiques, quelques saveurs particulières. Etre là tout entier, sous le doux feu d’un prolongement minuté et orchestré par la flamme elle-même.

S’aimer somme toute nous élargit. Plus l’espace de soi devient grand d’amour plus la béance se rétrécie. La fêlure devient alors une prise d’air qui s’étouffe. Ni le grondement d’anciennes cicatrices, ni la rougeur des plus récentes ne parviennent à transpirer sur l’état de grâce qu’est le répit.

Et puis, il est de ces vérités qui nous font honte de ce que nous sommes et horreur à accepter. J’emprunterais volontiers une sensibilité autre, j’étalerais volontiers l’illusion plénière de mes soubresauts à me consentir libre d’aucune attache, d’aucune retenue, pour me présenter vierge à toutes expectatives nourricières, mais j’accuse mon passé qui me violente et me terrasse. Il n’a cependant rien d’extraordinaire, chacun transportant ses charges. Je ne fais sans doute que trimbaler la mort qui me poursuit depuis longtemps. Et elle est si lourde, cette défunte lorsqu’on est vivant, qu’il me semble quelques fois vivre par défaut. Comme si ce n’était que ma pensée qui produise l’effort pour me délivrer de cette gangue mortifère, que j’en oublie mon corps devenu invisible par la léthargie qu’inoculent mes chambardements récurrents. Quelle cacophonie en moi !

Troublions supplémentaires ou complémentaires, ce corps qui ne délivre qu’une simple apparence ; que vit-il, qu’elle est sa perturbation propre ? Je me récite : mon ventre appelle comme lorsque j’étais enfant et qu’il avait faim, les muscles de ma jambe et de ma cuisse tirent pareillement aux sensations que j’éprouvais lorsque j’étais en croissance d’adolescence, ma main enfin, tapote de ses doigts en signe d’impatience… Mais l’ensemble de cette charpente osseuse crie la courbature comme celle d’un mauvais réveil où tout nous semble rouillé par l’inertie du sommeil.

Le cœur ne peut faire office de conscience et cependant, le vrai du jour lui demande l’opprobre d’une morale. Me voilà bien attaché, prisonnier de mes lianes à serrer les gouttes altières de mes compassions à me défendre. Mais à me défendre de quoi ? Mon théâtre est dans la sublimation de mon intérêt à me vivre et mes yeux ne savent voir que ce filigrane désuet que l’émotion perle sur mes gestes à chaque tentative de caresse sur la peau de mon habitacle.

Si tu étais là, mieux que de t’inventer, je libérerais sans scrupule tous les nulles part qui s’offrent à moi et qui en l’état ne s’accumulent qu’au néant. Mon désir te consentirait le ruissellement de sa source et je m’émanciperais un peu de cet envahissement qui m’inonde. Je logerais en toi ma déraison et tu porterais mon masque pour que je puisse me détester de mes apparences. Tu saurais mettre fin à mes ombres en illuminant de ta douceur la fureur et la rage que j’ai à me déchirer. Mon piétinement s’estomperait et j’avancerais, timidement d’un pas à pas un peu fébrile. Mais ce ne sont que des rodomontades excessives, et t’envier de cela m’éloignerait de toi avant même que tu fusses réelle.

Aimer est croire qu’on est attendu, et je ne suis attendu de toute façon que de moi-même. J’erre sur les fils d’eau que ma transpiration suppute de mes mirages ; or, malgré l’effort aucun oasis n’est là. Trop de répugnances à l’illettrisme de mon cœur gargouillent dans ma raison, je le sais. Dans cette chasse à cœur, il faudrait lâcher les chiens pour qu’ils courent et traquent les émotions. Qu’ils mettent à jour les perceptions silencieuses et cachées dans les fourrés de l’abandon, qu’ils dérangent la nature somnolente du renoncement et fassent s’envoler d’une seule brassée tous les frissons tapis dans l’antre des marécages. Qu’ils réveillent la parole que j’invente pour que je puisse me hisser à la cime (faîte) de mes palabres pour en traduire ce que cela changerait de moi.

La fêlure même bâillonnée persiste de ses jacassements, je me souviens qu’elle me disait : « je n’aime pas la chasse ! ».

A poursuivre ainsi, je pressens que quelque chose se substitut à mon souhait de consolation et les lèvres de mon cœur retiennent encore le langage du provisoire avenir de mon amour. Chaque nouvel indice de ma perte, chaque menace inaugure un salut. Et je ne me construis point dans la souffrance mais je glisse d’une souffrance à une autre achoppant ma tristesse sur le coin d’un sourire. Je viens à peine de le comprendre rien ne se limoge, tout se transforme.

Mon amour est trop grand pour ma seule vie. Je ne sais le contenir, l’attacher ou le maîtriser, il déborde mes résistances à lui résister. Je ne sais le posséder tant il m’envahit de ses émotions les plus fines et les plus denses. Il me plairait d’être lui et non cet escogriffe qui lui sert de pantin, mais pour cela, il me faudrait le pénétrer autant qu’il me pénètre et je ne sais faire. Comment se connaître à ce point ?

Il culmine là où je ne suis que radicelle et me couvre de son emprise à convoler partout, alors que je ne dépasse guère qu’une onde infinitésimale. Il n’est pas grand par sa proportion, mais immense par l’espace qu’il sait occuper. Et je n’en connais seulement que la partie qui me trésaille.

Je ne sais plus rien de ce qui me dépasse. L’ai-je su un jour, d’ailleurs.

A vingt ans, j’aurais sans doute explosé de joie et exposé mon sentiment à qui de droit. J’aurais frétillé et parcouru mon enthousiasme jusqu’à l’excès de son ivraie. Aujourd’hui, ha aujourd’hui… Il m’inquiète et me terrorise de ses paroxysmes. Le pire réside dans la solitude absolue dans laquelle il pourrait me plonger. Car à aimer on est fort seul et il faut un courage Herculéen pour assumer cet état et j’ai bien trop peur de ne pas avoir encore cette force. Par conséquent je crains de me décevoir, ne sachant m’estimer qu’à la mesure de mes plaintes.

Il me serait si léger de cerner tout cela dans du concevable, de l’acceptable. De pouvoir lisser cet impalpable frissonnement, de l’imaginer sans pli, sans retord et de pouvoir aborder cette défaillance avec la dextérité d’un pianiste jouant une symphonie. A aimer, c’est sans défense que l’on se projette sur l’autre et c’est sans défense que l’on s’offre à la riposte. Cette perte de facultés me désole autant qu’elle m’inspire à me dépasser. C’est en cet endroit précis que l’ôtre-je de moi-même prend toute son amplitude. J’y reconnais enfin toute sa véracité et toute sa nécessitude. Elle est bien là, cette autre partie de moi-même, et c’est bien d’elle que dans un jeu de ping-pong disputé, j’apprivoise ma terrifiante désolation à me concevoir.

Etre-aimé, bizarrement ne me pose pas tant de soucis. Sans doute, plus habitué à paraître dans l’échange, j’ai appris sournoisement à réguler ce que je suis au gré de la responsabilité qu’il m’incombe à ne pas décevoir. Ne pas décevoir étant toujours l’idée que l’on se fait de l’autre et de ses troubles à nous accepter. Respectueux de ne pas supposer chez lui(elle) les mêmes tourbillons que l’on connaît soi-même.

Elle. C’est lorsqu’elle devient douce comme la peau d’un pêche que je suis le plus dépourvu. La douceur m’a toujours trouvé démuni. Lorsque sa caresse me frôle, lorsque qu’elle m’exprime de ses gestes et de son corps toute sa tendresse, je voudrais intensément à ce moment là ressentir que l’amour ce soit introduit au plus profond de ma chair, mais bien trop désemparé j’acquiesce son baiser tel un enfant à qui une mère confie ses lèvres pour apaiser un « bobo » passager.

Si l’ôtre-je est mon second de cordée par instant, l’autre tout court est toujours ma forteresse. Si l’amour était alors un château de sable fragile, ce mur crénelé qui m’entoure serait alors le premier à connaître la vague ravageuse. Et je ne céderais à la puissance des vagues qu’après avoir vu se dissoudre sous mes yeux ses remparts. Bouclier innocent de mes fibres les plus dorées, je m’avoue indubitablement lié à cet autre, même si je ne fais que l’imaginer. Et c’est la tristesse qui m’envahie à éprouver combien je me renonce dans l’autre. L’amour et la mort ont pour similitude cette sensation que de se perdre. J’envie ces personnes qui follement et passionnément se jettent dans les bras d’un sentiment fusionnel. Je l’envie autant que je le redoute, vous l’aurez compris.

J’aimerais être bercé comme je l’ai eu été naguère dans le berceau de mon enfance et ne me soucier que du cliquetis du hochet qu’une main étrangère secouerait devant mes yeux intrigués et rieurs. Le possible c’est qu’un jour j’incorpore cette chair mienne et que mon corps et ma pensée se rejoignent dans cette insignifiance éclairée.

Devenir pour être à ma place. J’occupe encore cette étendue de moi que je nomme désert. Lieu propice à la reddition des peines accumulées mais surtout lieu de silence m’offrant le calme apaisant des sutures de l’âme.

Le vide est un semblant de rien. Et de ce faux rien, je me fréquente que mieux. Je m’ausculte de mes dons à créer l’once impalpable de mes héritages en les étalant sans vergogne sur mes horizons d’avant. Je sais maintenant que ce n’est que démuni de tous ce qui m’a fait qu’il m’est possible de me deviner et de m’arpenter, de m’entreprendre comme on le fait d’une aventure. Je suis cette aventure continuelle et persistante à chercher son aboutissement. Le chemin ne s’arrêtera à l’évidence que lorsque le cœur cessera d’espérer. Un cœur n’existe finalement que par l’espérance qui naît de lui. Il me serait sans doute facile d’imaginer ce qui lui est aisé de posséder, mais l’exigence de comparaître à soi tel que l’on s’est bâti est redoutable. Elle s’immisce dans la moindre incurvation, les moindres plis que les grimaces de nos histoires ont sculptés sur nos peaux.

 

Demain ne sait se dérider d’hier si nous nous appréhendons de nos amas. Tels des greniers à foin, nous accumulons tant. Et il faut tant de courage pour oser gratter l’allumette à y mettre le feu, tant de conscience pour n’y conserver aucune cendre, aucune brindille de nos antériorités. Ne garder que le feu, ne conserver que l’étincelle est un exercice brûlant qui laisse à nos mémoires la seule odeur du brûlis d’un compost entassé au gré des cultures de son jardin.

La quête de la clarté des hommes nous propulse presque toujours à la conquête des cœurs d’avant les hommes, dans un halo divin, au cœur de ce qui est précieux en nous.

 

Devenir est un verbe étonnant et plein de surprise. Il est aussi d’une puissance formidable. Et dire que bien souvent on ne sait ce qu’on devient qu’après avoir peigné longuement le temps, dans cet après que l’on ne fait que soupçonner aux reliefs d’ombres qui suivent les contours de nos pas en avant. Quel dépit !

Quand bien même dira-t-on de façon fondé qu’on ne devient que ce que l’on a été, je dévisse cette pensée trop pensée de ses signifiants. Ne serait-ce point oublier, omettre, que nous ne sommes pas seulement de l’inné et de l’acquit, tant ces deux piliers cachent à leurs angles saillants une part de notre insensé à polir sans cesse nos parois, à lessiver de nos décapantes sueurs les toiles les plus affirmées. Nous sommes partiellement l’enchevêtrement d’une multitude de partialités. A nul endroit nous ne sommes terminés. Et l’amalgame de nos inachevés, même réunis en seul bloc, une seule pierre, ne suffit à nous concevoir abouti.

 

Le parcours est aussi indéterminé que nous le sommes à nous prétendre être. Je le sais de tous les chemins que je n’ai jamais foulés, ils me le disent chaque jour davantage. Alors demain n’est qu’un autre jour d’une continuité improbable, demain ressemble à aujourd’hui par ce lien d’incertitude qui décape le ressenti du passé et le senti d’un maintenant propre à ouvrir tous les sentiers qui conduisent à sa Rome primitive. Il est terriblement indispensable d’oser poser le pied sur les terres demeurées vierges.

Ma place serait-elle dans la providence, qu’elle ne serait pas moins mon espace. La transformation se fait de trait à trait comme les tracées des routes et des autoroutes. Derrière, les traits blancs signalent le passage. Devant aucune trace n’est inscrite. Je m’invente, je m’inscris en moi-même comme le peintre pose sur sa toile ce que la vie éprouve de lui par son filtre à émotions. Veuillez noter que je parle de s’inventer et non de spéculer. Spéculer soi serait une voix sans aucune mesure avec l’authenticité.

Je sais qu’il faut laisser venir la nuit. Le noir est une césure indispensable aux lumières du jour. C’est l’heure où les images accomplissent leurs véritables empreintes. Mes yeux absorbent et épongent l’instant qui m’enveloppe. De cet immédiat environnement, j’y suis et j’en existe autant que je vois. Ce n’est sans doute que sans yeux que je m’aborde d’une absence de bonté. Cependant paupières closes et visions pliées aux encornures des flashs back redondant, je sais trouver en mes alcôves le succédané de mes lucioles. Celles qui longent mes lieux d’atterrissages.

Je pense à ce qui se tait. Je pense aux mots qui pourraient dire plus que je ne sais. Et je comprends que c’est du silence que naît l’illimité, l’inépuisable.

Je pense aussi, à la parole vivante qui me transpose là où je ne saurais m’accomplir autrement que par le geste qui a appris à se réjouir de la caresse qu’il est capable et qui subjugue. Dans un tel effritement, le solide a la vertu des mémoires qui ne sont pas nôtres et qui nous dépassent, qui nous surclassent. Là où je croyais déchirer, je n’ai souvent que froissé l’indélébile pour lui donner un aspect nouveau. Alors devenir est-ce la place elle-même ?

C’est le bleues des heures creuses, le chavirement du bateau ivre, le gémissement des émotions sans air, le craquement des fleurs de mon cœur, je bave l’écume rose…

Comme si l’amour était l’excuse des laideurs de la vie, je ne veux pas de but autre que de me bercer dans les bras de la douceur, je ne veux pas but autre que de me livrer au perpétuel baiser que les lèvres aimantes couvrent de leur tiédeur ouatée.

Je suis ce misérable frileux et affamé, je suis ce pantin disloqué aux pieds des cruelles beautés. Chacune d’elles m’a enflammé des flammes de l’orgueil et me voilà, le cœur décapité d’avoir voulu séduire ce qui ne l’est pas, une statue de pierre me rit au nez.

L’amour est une menace où la vie privée se meurt de n’être qu’une réplique d’un postulat frugal avide de se remplir le ventre quitte à déchirer les misères pour les laisser choir à même le bitume des routes martelées d’injonctions punitives ; feu rouge de sanctions, stop à la ligne, croisement dangereux, virages imprévus, retour impossible…

Comme si l’amour était l’excuse des beautés qui piquent la place des fades tourbillons que l’ennui et la solitude se dessinent pour oublier leur sort. Comme si mon cœur pouvait se rompre sous le choc des tes mots et de ton regard d’aigle carnassier. Je ne céderais pas, je ne viendrais plus ausculter tes terribles tentacules de pieuvres des béances lancinantes. Je ne regarderais plus tes linceuls destinés à du prêt à l’emploi, je ne viendrais plus solliciter tes affres caresses. Je resterais seul de moi-même jusqu’à l’éternité des temps, je vivrais de l’once d’une goutte de tes joies, d’une brindille de tes effluves ravageuses, d’un zeste de tes enjolivements. Tu es trop redoutable pour une seule vie. Et ce soir, je gis là dans la griserie de mes tourments à t’avoir salivé… je n’ai plus soif.

Géométrie aléatoire, ta bouche est un cul de sac qui se ferme sur mes yeux. Tes hanches sont les lisières mouvantes des houles contrites des alphabets aux voyelles qui se prolongent longtemps dans l’air pour devenir les volutes de congruence que le paradoxe épouse. Tes cris comme des oiseaux sauvages portent le vent de tes souffles indomptés. Tes rêves sont des craies de soufre ypérites où s’évanouissent mes exaltations. Et lorsque ma main te cherche ici, tu es déjà là-bas brûlante. Tes courbes sont de fausses droites et ton désir des angles sans fin. Sous le crissement des ongles de ton visage d’ange, c’est ma vie qui crépite comme volcan marmiton. Et sur tes nuages ronds ma lave contracte ton blanc d’ouate douce. Ta vie, mon cœur, est l’étendoir de mes bouffées de cire. Ton cœur, ma vie, est un fil tendu entre l’espérance et la mort. J’apprendrais l’ovale qui s’empale sur l’essai de tes survivances.

Il faut se mettre d’accord avec la lumière. L’abat-jour ne sait pas ce qu’il cache. Un langage animé de sa vie propre est une part de soi qui s’évade pour ne plus appartenir à personne. Il est tôt fait de penser que la parole disculpe les mots gorgés d’émotions pour s’adonner aux imperceptibles caresses que la frange du langage recouvre de ses dires à l’emporte pièce. Depuis le temps que l’ombre de moi-même marche à mes cotés, ne me serait-il point possible que de m’immiscer dans ces recoins de gris où se tait l’ôtre-je ?

Sans lui, le désert ne ressemble qu’à du sable sans âme et la solitude demeure un ennui qui ruine toute idée d’oasis.

Sans le vouloir les mots en disent plus qu’ils ne savent eux-mêmes. Tant d’insipide se glisse dans certains. Tant de miracles en accaparent d’autres.

Celui qui alarme a la faculté d’hisser le verbe aux confins des peurs, celui qui apaise à la prétention d’adoucir et celui qui incrimine se voudrait de porter l’estocade.

C’est au porteur de mot qu’il convient de s’intéresser. Il m’arrive de parodier, d’utiliser les couvercles pour que mon langage n’emporte pas avec lui le plus inconscient de ses dires, mais le plus souvent, il reste le maître mot de mes pensées les plus intimes.

La parole est aussi vivante que les légumes de mon potager. Comme lui, elle est sensible aux saisons, aux turbulences, à l’assoiffement, aux pluies de grêles. L’idée de rassembler ses mots avant de dire me fait penser aux rassemblements qui fusionnent, qui associent ce que je suis et ce que je vis sur un seul tempo, un seul rythme. Troubles faits, parfois, ils agrandissent aussi mon désarroi par les reflets de moi qu’ils ne manquent pas de projeter dans le champ du hors de moi qui me transite pour s’écouler en pâture aux oreilles des autres. Les autres ne seraient-ils pas d’ailleurs seulement l’entendu ?

Et de leur perçu ne nous témoigneraient-ils point leur sympathie ou leur désapprobation ?

Mille mots en un, laisse à chacun l’opportunité d’en ressentir seulement ce qui correspond à son juste, à sa vérité personnelle et intime, et d’en réagir à souhait, à sa convenance. Palabres de serpentins, le mot reste quoiqu’il en soit, une fête. Il est une grange de possible de la même façon que le silence.

De ce que je suis rien n‘est quelque chose. Et je me réjoui de cette alternative dans laquelle je me frotte à l’inépuisable. Tout a la forme que je lui donne. Ainsi une voyelle peut être ronde ou rectiligne selon que je porte le son à mon image, à mon exigence.

J’admets qu’il est des mots et des voix turbulentes qui dépassent par leurs tumultes mes propres sons, pis encore, qui les étouffent, les ceintures, les emprisonnent.

Mais rien, jamais, n’anéanti ma petite voix du dedans.

Mes résistances sont l’antidote de mes renoncements. Je me résiste autant à moi-même qu’à tous les intrus qui voudraient s’accaparer mes fragilités pour introduire en moi une force qui me serait étrangère. J’emprunte les mots qui me viennent comme pour m’en débarrasser.

Le mot qui me délecte le plus est bien sûr celui du fantasme. L’imaginaire sait puiser et soulever les sucs de mon être restés sur le sol comme des dépôts de poussière pour en faire une pluie d’étincelles brillantes. L’organementiel a une saveur si fine que je dois altérer le mouvement afin d’en percevoir toute l’ondée chaude des embruns du tendre.

L’insaturée est cette grammaire qui te susurre à l’oreille le mot inaudible que tu comprends de cœur sans jamais l’avoir entendu. Oublies de te venger du vocable de tes inspirations, laisses venir cette fontaine d’adverbes qui agrémentent la boucle de tes mots, là, juste là, où l’adjectif se replie.

Il faut se mettre d’accord avec la lumière pour en trouver l’équivalence. L’ombre ne se tarit pas, elle accompagne la vacuité.

Si seulement on pouvait lire la douleur comme l’on déchiffre le livre d’un auteur inconnu racontant l’indéchiffrable de l’être dans sa gloire à en faire fi. Si seulement on pouvait s’astreindre et se résigner à se suffire de ce qui nous dépasse et nous construit cependant malgré tout…

Mon sentiment se creuse comme une tombe et je suis transit par l’idée saugrenue de me sauver, de partir, de fuir. Mais se sauve-t-on face à son propre silence ?

J’épluche mes souvenirs pour en repérer un bon, un délicieux, un rieur. Enfant sans doute, ai-je connu la ferveur de l’émerveillement, le goût d’un bonbon qui roule sous les dents, la promesse de quelques récréations sucrées. L’enfance est un territoire pudibond où la pudeur prime sur la déchéance et où l’heure n’est pas assez tardive pour songer aux ruines futures. Toutes mes forces sont focalisées et restent acculées à ce désir de rémanence. Mais rien ne me vient en tête, c’est le trou, le vide, un blanc. Le chagrin d’avoir oublié mon premier fou rire m’estropie et ma mémoire boite comme induite par tant de fuites involontaires. Plus la tristesse est profonde plus l’espérance est vive. L’optimisme s’accroche désespérément aux transpirations de mes sentis comme pour sauver ce qui peut l’être. Mes yeux s’étonnent de ne pas parvenir à trouver une seule image de joie vécue. Véritablement prisonnier, coincé dans mes pensées ; enclavé, il me faut l’effort d’un titan pour m’ôter cette chape plombée qui m’écrase. Dehors, le ciel est toujours debout et les arbres se marrent bien des jeux qu’ont les oiseaux à se cacher dans leurs branchages.

Si seulement, on pouvait défricher nos chairs et nos âmes sans se fourvoyer sur une mine restée là, terrée dans l’attente d’un après d’âpres combats. Si seulement la douleur n’était pas cette capitale aux rues explosées, aux immeubles dégoulinant d’immondices que le temps n’a su broyer et absorber. Capitale sournoisement silencieuse, rêvant sans doute à son apocalypse, à sa disparition dans les profondeurs du gouffre de ce qui dure sans notre accord. Ville de fausses vérités et de mensonges accumulés, ville de trottoirs chargés d’un air puant, moite collant à la peau. Ville où siège la mélancolie d’un avant flamboyant parce qu’avant était plein, était intense, était heureux, peut-être. Ville de collines décimées par l’inondation des putréfactions humainement humaines où seules les charognes d’un miracle affectif persistent à lamenter d’horribles plaies que seul l’irréel entend encore.

Et je suis là, toujours là, dans la persistance aveuglante de celui qui creuse encore, qui creuse malgré tout, avec l’unique espoir qu’un jour cesse le chantier, pour que la vie s’ajoure de ces lumières chantantes et de ces heures douces. Il me faut tenir, les mâchoires serrées, le teint à demi nu, les tempes grisonnantes, il me faut tenir. Ce n’est pas l’exploit qui hante mes déambulations, mais l’idée pure que je me fais du silence total. Ce n’est pas des larmes qui brisent mes parois d’homme en construction, mais mes convulsions à vouloir rester debout pour que mes yeux puissent toujours se heurter à l’horizon et se dire jusqu’à là je tiens, jusqu’à là, je vis.

Pourquoi faut-il se haïr de son amour ? Pourquoi se rendre coupable d’un sentiment si naturel ? L’amour cacherait-il toutes les privations qu’il fonde sur des instincts qui nous sont étrangers ?

Je suis seul, définitivement seul. D’un isolement qui me répudie de toute compassion. A quoi bon me confondre encore avec ce cœur qui m’a emporté au-delà de mes déclarations à vouloir dominer ce qu’il a lui-même engendré ?

Mes yeux hagards, posés au hasard…

Des fourmis en troupes rangées sillonnent le sol qui m’entoure et soudain un éclair de souvenir, enfin,  transfigure mes pensées. Enfin.

Je me revois enfant assis sur un monticule de terre tout prés de mon lieu d’habitation de l’époque. Autour de moi des colonnes en lignes de fourmis vêtues d’armures, des drapeaux, des fanions, une cohorte musicale, tambours et trompettes lançant le rythme de marche, un bataillon chevauchant des cafards et des sauterelles, prêt à partir à l’assaut au moindre geste du général qui sillonne fièrement le haut des collines environnantes. Je ris, je souris de mes stratagèmes guerriers à imaginer une bataille imaginaire, qui s’est simplement déclenchée à la vue de ces petites bêtes marchant à vive allure, là tout prés de moi, là où mes yeux s’étaient posés. Je suis un instant l’enfant qui va sonner le clairon. Je ris, je ris aux éclats enfin rassasié d’une mémoire aussi galopante que débonnaire venue me secourir dans un état de paroxysme puissant et incontrôlé. Mes lèvres de joies, se lovent et simulent le souffle à injecter au clairon. J’y suis, c’est ma guerre ! L’attaque sera fulgurante, « pas de prisonniers ! » crierais-je pour assouvir l’enthousiasme de ses retrouvailles fortuites.

Cela ne tient-il donc à rien ou à si peu pour que se réenclenche les souvenirs ? Suffit-il d’un déclic, d’un doigt posé au hasard sur une carte ? Le passé n’ouvrirait-il ses portes qu’à la nécessité de l’appel ?

L’amour en serait-il de même ? Et la nécessité serait-elle cet essentiel dont je me targue à chaque coin de rêve ?

Amour, toute puissance d’un mot. Un mot d’une dynamique saillante inouïe. J’ai cuit d’aimer et me suis séché du mal que cela m’a fait de tout donner, tout offrir, de tout sortir.

Il me faudrait sortir de ces masques d’avant justement, si je souhaite reconquérir le halo tendrissime de mon cœur. J’ai trop aimé dans la débâcle, dans l’envahissement  de terres vierges, des espaces libres, de ciels ouverts à la caresse des nuages et aux gémissements des étoiles. L’amour devenu passion, l’amour devenu poison !

Est-ce donc l’amour qui est moteur de vie où le désir qu’il suscite ?

M’aimerais-je encore assez pour envisager l’envisageable ? De cette affirmation que je me suis si souvent répétée en me persuadant qu’elle prodiguait le salut des mes plaintes : « aimes-toi autant que tu te rejettes, il en va de ton assurance à poursuivre…devant étant le chemin pour aboutir. ». Dehors, la nuit commence à envelopper de ses ombres les branchages flottant des arbres et les oiseaux cherchent leurs litières nocturnes. La lune sourit de ses pâles baisers qu’elle fait aux derniers rayons de jour.

Je m’attendris doucettement de cette réflexion qu’une femme m’a faite : « il me semble que nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde… ». A longueur de temps les ondes vibrent leurs désarrois. Traduire le silence reste une métamorphose non singulière par laquelle ce qui se tait prend la forme désuète d’un refrain sans fin. De m’aimer à t’aimer la nuit ne filtre pas les différents noirs. Seul l’Homme a la faculté de plonger dans l’ombre pour faire naître de la lumière. Faculté poétique ou cynique, c’est selon. L’exaltation est tout de même une sacrée hypothèse pour quelqu’un qui se suppose être rien. Et il me semble avoir été conçu pour anticiper ce que je ne connais pas l’occultant de ce que la vie m’a appris. Un piètre créateur, donc. Ma tristesse me nourrit de tout.

Autant de têtes, autant d’avis… une opinion par esprit, le compte y est. Rassembler, n’est pas assembler. De notre bonheur ou de notre malheur, les autres ne peuvent qu’imaginer et ne peuvent prétendre à cet imperceptible sensation si peu partageable. Et les appréciations extérieures viennent heurter mes remparts par des avis qui me sont étrangers et perturbent mes silences à me composer de la mélodie des vagues qui ondulent ma mer profonde. Les cris sont le hurlement des tempêtes venues s’assurer que le sel et l’eau sont bien mélangés, bien métissés.

Il faut terriblement sortir de soi, être exempt de tout ce que l’on est, pour espérer pénétrer l’essence des choses, pour plonger dans les profondeurs prolixes de nos survivances. Ce n’est qu’humble de toute exigence et pauvre de son seul instinct à vivre, que tout devient possible.

Sans doute le bonheur du corps est bien plus accessible que celui de l’esprit qui ne peut en connaître qu’un éphémère. Nos os et notre charpente de chair sont probablement là uniquement pour nous convaincre que nous sommes vivants.

Perdre ses illusions, se traduit en moi comme ne rien changer et tout inventer pour un changement durable, aussi longtemps que le temps de ce que je suis me ressemble. Pourtant, à chaque instant, il me semble que je vais me modifier. Le possible se présente comme un vêtement trop petit que seul un régime soutenu permettrait d’enfiler. Et la diète me tente. Jeûner de soi pour dissoudre l’embonpoint d’une accumulation venue se superposer d’heures en heures, de temps à temps. Il me plairait de savoir si je me transforme davantage de ce que je ne sais de moi où si au contraire les modifications sont le résultat des efforts de ma conscience à se savoir. Lorsque j’essaie de me présenter ma réalité, je suis toujours confondu par le fait que l’écrire ou le verbaliser l’achève, la finalise, la termine, en la formalisant d’une idée de ce qu’elle est. Et je me ronge de doute comme le fait un ver dans un fruit. Ce qui est trop certain, trop affirmé m’acoquine trop à une vérité dont je ne sais la justesse. Et toutes mes convictions ne résistent pas à l’épreuve du temps. En interrogeant mon ôtre-je, j’éprouve régulièrement, qu’à ne pas avoir observé avec suffisance mes pensées, elles capitulent pauvrement à l’expérimentation de la durée et me laissent désemparés sans plus de repères solides et rassurants. La peur renforcée par un sentiment d’échec paralyse instantanément mon esprit. L’esprit est une entrave à l’accomplissement autant qu’il peut libérer.

Mes pensées se prolongent en elles sans changer de personne. Elles persistent à vouloir briser la chrysalide de mon âme. L’amour et la mort me poursuivent inlassablement telles des maîtresses inséparables et indissociables. A parjurer son désir le plus pur sans plus d’attention, je crois que c’est le mensonge grossier et grotesque qui s’empare de moi bien plus sûrement et qu’ainsi déloger de mon juste je permute de moi à moi dans une ambivalence où se glisse toutes ambiguïtés.

La seule conviction d’être vivant ne m’assure pas l’enracinement à l’existence et j’éprouve le besoin de me confronter de mon temps écoulé comme si le souvenir était une part de moi inventée de toute pièce afin de me confirmer que la seule réalité plausible est la dérive des sentiments par lesquels je m’accuse d’avoir été le piètre fieffé de moi-même.

Le souvenir est un secours où l’autrefois vient combler le temps perdu, le temps écoulé à ne pas savoir, à n’avoir su saisir de l’instant ce qui en était le plus essentiel. Et la certitude que l’incertain est maître des destinées rajoute à mon sentiment de perdre pied, une once d’effroi propre à me limoger ipso facto de toute responsabilité à me contraindre aux jougs prétentieux de mes vertus à me plaire.

Il me plairait dans de pareille circonstance de franchir le temps pour me régénérer du succédané de mes chagrins dans l’espoir un peu fou d’y laver le noyau de mon cœur. Mais en amour le mauvais choix est toujours non choisi et le temps ne sait reculer.

N’est-il pas plus simple que de se dire que pour que les choses fusionnent, il faut nécessairement d’abord qu’elles s’agitent ?

Je nourris avec mon ôtre-je une relation duale qui je le sais pourrait tout aussi bien devenir la catastrophe de moi-même. Et bizarrement j’aime cette idée de risque, de frontière à ne pas dépasser. Comme si le défi prononçait une saveur plus sûre, plus complète. Voir, voir avec la peur de trop voir. Les images vues ne sont ici qu’un reflet de l’émergence des flashs qui lézardent mes pensées résurgentes comme des éclairs. Une mémoire sans souvenir engrange le silence où s’installe le désert. Vide, toute absence est vaine d’elle-même et c’est dénudé de tout qu’il me faut comparaître à l’idée de me dépasser. Nu, colocataire du rien.

Pour continuer à vivre tous les prétextes me sont bons. Me tuer n’a de sens que si c’est pour revivre. Et je conçois de me quitter que pour m’envahir de ce que je n’ai pas encore su faire exister en moi. Il me plairait de m’acquiescer de mon âme blessée afin que la douleur comprenne qu’elle se suffit.

Résister à la tentation de l’empathie pour approcher au plus fin ce que l’on est. A l’intérieur de ma sphère, l’ancrage au vécu, au passé, me laisse perplexe, et je crois que l’abandon est la seule voix sur laquelle un homme vivant puisse marcher.

Il faut s’indiscipliner de sa discipline à s’épurer, savoir être de l’interruption, dans le silence de la signification du temps à vivre. Ce qui s’achève ne laisse pas libre court à ce qui se vit. Il m’est urgent de me débarrasser de ce qui existe pour entrevoir sans artifices les fragments de l’invisible qui me tendent les bras.

S’expérimenter comme ici, à cette porte, et puiser dans les dédales logorrhéiques les non sens des référentiels à se concevoir. L’aporie est un embarras indiscutable qui conduit merveilleusement à l’inusité.

De l’inachevé j’habite la part crédule et je m’augmente bonhomme du mépris de la vérité comme d’autres font reposer leur santé morale sur la raison. Je complote avec l’intarissable aux ruisseaux de l’errance et m’adonne volontiers au dessèchement des mers qui rugissent dans mes lavabos à décantation.

Le principe de se raconter pour s’entrevoir chancelle et je chute sur moi-même comme une pierre au fond d’un puits. Je vous écrirais d’en bas si la lumière m’y aide.

En ce lieu, l’avorton est la seule grandeur qui sublime.

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Commentaires
B
virtuelle : D’ile en ile les traces rebondissent, nous sommes partout dans un ailleurs qui nous ressemble avec plus ou moins de clarté… et de survivance. Merci de tes yeux.
V
qui fait echo jusqu'à l'extrème de mon île où les mots sont audibles par des compagnons de naufrage dont le regard fixe une ligne d'horizon tracée sans les outils adaptés.<br /> Bien à vous
LA COLLINE AUX CIGALES
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