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LA COLLINE AUX CIGALES
5 avril 2009

Giacomo Leopardi (1798-1837)

« L’être vivant s’aime sans aucune limite, et ne cesse jamais de s’aimer. Il ne cesse donc jamais de désirer le bien, et le désire sans limites. En réalité, ce bien n’est rien d’autre que le plaisir. Or le plaisir, si intense, si réel soit-il, a des limites. Il n’existe donc aucun plaisir capable d’égaler l’amour que l’être vivant se voue à lui-même. Dans ces conditions, aucun plaisir ne peut le satisfaire. Et s’il ne peut le satisfaire, aucun plaisir, fût-il réel abstraitement et absolument parlant, ne saurait être réel relativement à celui qui l’éprouve. En effet, celui-ci, qui, par essence, s’aime sans limites, a des désirs toujours plus intenses. Sitôt qu’il accède à un nouveau plaisir, il ne peut s’en contenter. Ainsi, puisque dans le moment du plaisir, dans le bonheur, le désir ne se trouve pas satisfait, l’être vivant ne peut éprouver de plaisir complet, donc de vrai plaisir ; ce plaisir sera toujours inférieur au désir, qui, lui, ne cesse pas de se manifester. Voilà donc la tendance naturelle et nécessaire du vivant à l’indéfini, à un plaisir sans limites ; donc au plaisir qui résulte de l’indéfini, certes le plus grand plaisir possible, mais plaisir encore incomplet, dans la mesure où l’on ne peut posséder l’indéfini, qui en vérité n’existe pas. Il faudrait le posséder pleinement et en même temps indéfiniment pour que le vivant fût comblé, c’est-à-dire heureux, pour que son amour de soi, qui ignore toute limite, fût définitivement satisfait, ce qui est contradictoire et impossible. Par conséquent le bonheur est impossible pour celui qui le désire, parce que le désir, comme désir absolu de bonheur et non de telle félicité particulière, est nécessairement illimité, et que le bonheur absolu est indéfini et exempt lui aussi de limites. Ainsi ce désir contient en lui-même la cause de son insatisfaction. Or, il est une conséquence nécessaire de l’amour de soi, et, peut-on dire, ne fait qu’un avec lui. Et cet amour-là est une conséquence nécessaire de la vie dans le présent ordre des choses, tel qu’il existe et que nous le concevons, puisque même s’il en existait réellement un autre, nous ne le pourrions concevoir. Ainsi tout être vivant, du seul fait qu’il vive (et par conséquent qu’il s’aime, qu’il désire un bonheur absolu, illimité, donc impossible, et que son désir ne soit jamais satisfait), ne saurait être effectivement heureux. Le bonheur et le plaisir sont toujours à venir, c’est-à-dire, ne pouvant exister réellement, ils n’existent que dans le désir de l’être vivant, et dans l’espoir ou l’attente qui en résulte. (…) Il en résulte que le plus heureux est celui qui se laisse détourner du penchant de son esprit au bonheur absolu. »

    - La théorie du plaisir (p.55-56, trad° J. Gayraud, éditions Alia) -

 

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Commentaires
B
@ Servanne : Mille excuses, je n’avais pas vu. Le revoici donc intégral.<br /> <br /> Giacomo Leopardi (1798-1837)<br /> « L’être vivant s’aime sans aucune limite, et ne cesse jamais de s’aimer. Il ne cesse donc jamais de désirer le bien, et le désire sans limites. En réalité, ce bien n’est rien d’autre que le plaisir. Or le plaisir, si intense, si réel soit-il, a des limites. Il n’existe donc aucun plaisir capable d’égaler l’amour que l’être vivant se voue à lui-même. Dans ces conditions, aucun plaisir ne peut le satisfaire. Et s’il ne peut le satisfaire, aucun plaisir, fût-il réel abstraitement et absolument parlant, ne saurait être réel relativement à celui qui l’éprouve. En effet, celui-ci, qui, par essence, s’aime sans limites, a des désirs toujours plus intenses. Sitôt qu’il accède à un nouveau plaisir, il ne peut s’en contenter. Ainsi, puisque dans le moment du plaisir, dans le bonheur, le désir ne se trouve pas satisfait, l’être vivant ne peut éprouver de plaisir complet, donc de vrai plaisir ; ce plaisir sera toujours inférieur au désir, qui, lui, ne cesse pas de se manifester. Voilà donc la tendance naturelle et nécessaire du vivant à l’indéfini, à un plaisir sans limites ; donc au plaisir qui résulte de l’indéfini, certes le plus grand plaisir possible, mais plaisir encore incomplet, dans la mesure où l’on ne peut posséder l’indéfini, qui en vérité n’existe pas. Il faudrait le posséder pleinement et en même temps indéfiniment pour que le vivant fût comblé, c’est-à-dire heureux, pour que son amour de soi, qui ignore toute limite, fût définitivement satisfait, ce qui est contradictoire et impossible. Par conséquent le bonheur est impossible pour celui qui le désire, parce que le désir, comme désir absolu de bonheur et non de telle félicité particulière, est nécessairement illimité, et que le bonheur absolu est indéfini et exempt lui aussi de limites. Ainsi ce désir contient en lui-même la cause de son insatisfaction. Or, il est une conséquence nécessaire de l’amour de soi, et, peut-on dire, ne fait qu’un avec lui. Et cet amour-là est une conséquence nécessaire de la vie dans le présent ordre des choses, tel qu’il existe et que nous le concevons, puisque même s’il en existait réellement un autre, nous ne le pourrions concevoir. Ainsi tout être vivant, du seul fait qu’il vive (et par conséquent qu’il s’aime, qu’il désire un bonheur absolu, illimité, donc impossible, et que son désir ne soit jamais satisfait), ne saurait être effectivement heureux. Le bonheur et le plaisir sont toujours à venir, c’est-à-dire, ne pouvant exister réellement, ils n’existent que dans le désir de l’être vivant, et dans l’espoir ou l’attente qui en résulte. (…) Il en résulte que le plus heureux est celui qui se laisse détourner du penchant de son esprit au bonheur absolu. »<br /> <br /> La théorie du plaisir (p.55-56, trad° J. Gayraud, éditions Alia)
S
Oh le texte est coupé sur la droite, bouh, dommage !
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