William James
William James : « Le vrai est ce qui est payant »
Dans une perspective pragmatique, un énoncé est vrai s'il est rentable. Cette affirmation ne conduit pas pour autant au cynisme. Elle n'est même pas incompatible avec la croyance, selon le philosophe américain : et si Dieu était une idée payante ?
Par Olivia Gazalé
Vous doutez de la vérité d'une vision politique, d'un programme économique, d'un système de valeurs ou encore d'une croyance religieuse ? Soyez pragmatique : évaluez-les à l'aune de leurs conséquences pratiques. Elles seules, nous dit le philosophe américain William James, sont le critère du vrai. De même qu'une loi scientifique n'est vraie que si elle a des applications techniques fécondes, une idée n'est vraie que si elle est prosaïquement rentable, opératoire, profitable, bref payante. « Le vrai consiste simplement dans ce qui est avantageux pour notre pensée, de même que le juste consiste simplement dans ce qui est avantageux pour notre conduite. » Même Dieu est « une chose dont on se sert ».
Vous êtes choqué ? Vous rejoignez le camp des nombreux détracteurs de William James, Bertrand Russell en tête, qui voient en lui le chantre du capitalisme sauvage, et réduisent sa pensée à une défense et illustration de l'homme d'affaires américain : opportuniste, individualiste, cynique et décomplexé.
Peut-on souscrire à une conception perspectiviste et utilitariste de la vérité ? Celle-ci n'est-elle pas, comme le répétait Platon en fustigeant le relativisme des sophistes, d'ordre métaphysique plutôt qu'empirique ? Pire, la philosophie de William James ne permettrait-elle pas de cautionner un acte immoral, pourvu qu'il ait des conséquences avantageuses ?
Mais le philosophe lui-même nous invite à dépasser cette interprétation caricaturale de sa pensée. Dans sa correspondance, il condamne « la lâcheté morale née du culte exclusif de l'infâme dieu Succès. C'est là, dans le sens bassement mercantile, que nous donnons au mot “succès” qu'est notre plaie nationale ».
C'est dans l'horizon nietzschéen du nihilisme occidental qu'il faut replacer l'œuvre de William James. Dieu est mort, emportant dans son tombeau la vérité révélée et le cortège de certitudes sur lesquelles s'était bâtie notre civilisation. Cette crise des fondements, qui marque en profondeur notre ère, s'accompagne d'une grave crise de confiance. Si la vérité n'est pas une et universelle, mais plurielle et relative, comment continuer à croire et à agir ? Sans confiance, pas de risque et sans risque, pas d'action. Nous voici à présent confrontés à ce que Nietzsche appelait le « néant de volonté », cette inertie du vouloir qui conduit à la démission intellectuelle, à la capitulation morale et à l'inaction.
Le pragmatisme se présente ici comme l'ultime recours face à cette tétanisation de la volonté. Davantage qu'une philosophie, il est une méthode d'évaluation qui permet de clarifier nos choix pour libérer notre énergie : « La vérité complète est la vérité qui donne de l'énergie et livre des batailles. » Elle peut à ce titre être qualifiée de « payante », non parce qu'elle « rapporte gros » mais parce qu'elle sauve du désespoir en offrant une rédemption à nos libertés atrophiées. Le pragmatisme est un outil de création propre à secouer notre léthargie en offrant des points de repère à la croyance, au jugement et à l'action. Ainsi, dans une perspective pragmatiste, il peut être payant de croire : « Refusez de croire, et vous aurez raison, car vous périrez irrémédiablement. Mais croyez, et vous aurez encore raison, car vous serez sauvé. Par votre confiance ou votre méfiance, vous rendez vrai l'un ou l'autre des deux univers possibles. »
William James en six dates
1842. Naissance à New York. Frère aîné du romancier Henry James.
1890. Professeur de physiologie à Harvard, il publie les Principes de psychologie.
1897. Titulaire d'une chaire de philosophie, il écrit La Volonté de croire.
1907. Parution du Pragmatisme.
1912. Publication des Essais d'empirisme radical.
1910. Mort à Chocorua (New Hampshire).