Karl Popper
Karl Popper et l'horoscope
L'astrologie est-elle une science ? Pour le philosophe viennois Karl Popper, la réponse est non. Car, pour être scientifique, une théorie doit pouvoir être réfutée, contredite par l'expérience. L'astrologie, elle, a toujours raison…
Ecrit par : Michel Eltchaninoff
Méfiez-vous de votre agressivité », « Faites un point sur votre couple et tout repartira comme avant », « Ne soyez pas trop dépensier le 3 »... Ces phrases que vous avez lues il y a quelques jours dans votre horoscope favori resurgissent soudain. C'est vrai, vous vous êtes encore défoulé sur votre collègue. Vous avez réfléchi à votre couple, qui ne va pas très bien ces temps-ci. Mais vous avez dîné le lendemain dans un restaurant chic, trop chic. C'était quel jour ? Mais oui, c'était le 3 ! Et dire qu'il y a des esprits obtus pour penser que l'astrologie n'est pas une science. Comme les sciences les plus dures, elle observe, fait des prédictions puis attend les confirmations expérimentales. Supposons maintenant que vous avez réussi à vous contrôler avec votre collègue, que vous n'avez pas du tout pensé à votre couple, qui bat toujours de l'aile, et que, en passant devant un magasin, vous avez résisté à la tentation. C'était... mais oui, c'était bien le 3.
Quoi que vous fassiez, des affirmations aussi vagues que celles que nous avons prises pour exemples paraîtront systématiquement confirmées par l'expérience. L'astrologie a toujours raison. C'est justement pour cela qu'elle n'est pas, selon Karl Popper, une science.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, celui qui deviendra l'un des plus importants philosophes des sciences du XXe siècle a 18 ans. Imaginons-le installé dans un café de Vienne, sa ville natale. Il feuillette un journal et s'interroge sur la fiévreuse période que traverse l'Europe. La révolution astrophysique einsteinienne est en marche. De nouvelles disciplines réclament aussi le titre de sciences. La révolution russe grise les marxistes autrichiens qui prétendent créer une science de l'histoire. Le Viennois Sigmund Freud veut faire de la psychanalyse une science de la nature. Sans parler des occultistes et astrologues, ni même d'un autre Viennois de passage, promoteur d'une sinistre « science des races », qui forcera Freud et Popper à l'exil. Karl Popper est embarrassé lorsqu'il arrive à la dernière page de son journal, celle des horoscopes. Qu'est-ce qui distingue une authentique science des pseudosciences plus ou moins charlatanesques ?
Une discipline vraiment scientifique énonce des hypothèses suffisamment précises pour être susceptibles d'être réfutées par un test expérimental. Si l'astronome nous explique que les planètes effectuent des rotations en ellipse autour du Soleil, il suffira d'un seul astre qui ne dessine pas une ellipse, d'un écart minime, pour mettre à terre la théorie. Les pseudosciences – outre l'astrologie, Karl Popper y inclut la psychanalyse et le marxisme – ne font, au contraire, que rechercher d'incessantes et toujours plus nombreuses confirmations dans l'expérience. A l'aide d'habiles formulations, d'un refus des contre-exemples, elles repoussent toute réfutation possible. Elles s'enivrent de confirmations en tout genre. Elles se veulent infalsifiables.
Cette intuition originaire oriente toute l'oeuvre de Karl Popper. Très discuté aujourd'hui encore, son fameux critère de démarcation entre sciences et pseudosciences a un immense mérite. A ceux qui craignent l'arrogance dogmatique des scientifiques et leur indifférence à l'éthique, le philosophe répond que les sciences sont, par essence, modestes et critiques puisqu'elles recherchent toujours des réfutations à leurs hypothèses. Cet esprit, qui nous préserve des idéologies pseudo scientifiques, déteste les triomphes faciles. Il représente une véritable morale. Mais au fait, de quel signe était donc Karl Popper pour être si clairvoyant ?
Deux notions-clés
Pseudosciences : outre l'astrologie et l'alchimie, Karl Popper n'est pas tendre envers la prétendue science de l'histoire, archi-vérificationniste :
« Un marxiste ne pouvait parcourir un journal sans découvrir à chaque page, depuis les éditoriaux jusqu'aux placards de publicité, une illustration de la lutte des classes – laquelle s'étalait plus manifestement encore dans ce que le journal ne disait pas », écrit-il en 1956, dans Le Réalisme et la Science (Hermann). Plus polémique encore est son jugement sur la psychanalyse de Freud : lisez le chapitre 18 du même ouvrage et faites le test de falsification.
Falsifiabilité/falsificationnisme : dans son premier grand ouvrage, La Logique de la découverte scientifique (Payot), paru en 1934, Karl Popper montre qu'une théorie scientifique recherche d'abord la réfutation ou la falsification expérimentale. Si l'on avance que « tous les cygnes sont blancs », et même si l'on accumule les vérifications, il suffira d'un cygne noir pour falsifier la théorie. La doctrine de Popper est le falsificationnisme, bien exposé dans Conjectures et Réfutations (Payot).