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Que te dirais-je lorsque mes yeux auront avancés dans les tiens ? De cette morsure qui pénètre profondément dans l’inconsistance de la parole, toi la lèvre ouverte et moi la langue effeuillant le vide. Que te dirais-je lorsque nos mains feront pliées l’extase à la fortune de nos peaux ? Lorsque la caresse s’enroule comme une vague et que tes yeux répondent à l’écume. Lorsque le silence du geste est si prenant que l’épiderme se rabroue et qu’il ne reste que la poussière d’un long discours amoureux déclamant de chaque tirade une nuée douce de frissons sans fin. Que te dirais-je lorsque nos peaux s’époumoneront aux rythmes de la fougue qui secoue comme des flammes sous l’emprise du vent ? Nos entrailles ouvertes, nues et offertes à la marée des souffles du soleil. Nos chairs évidées comme des poissons prêts à frire. Que te dirais-je lorsque aveuglés l’un de l’autre, borgnes de nous-mêmes, nous ausculteront nos ivresses à la tâtonade et que nos cœurs seront devenus des tambourins qui accompagnent le crissement des cigales ? Que te dirais-je lorsque l’amour n’a plus de mots, n’a plus de formes, n’a plus d’ombres où poser ses pantomimes ? Que j’ai encore soif de toi, que la vie est trop courte, que ton vertige est le mien ? Que te dirais-je lorsque nous occuperons de nos deux corps enlacés tout l’espace du silence et que nous n’entendrons que le clocher de nos cœurs sonner l’heure de la prière ?
A l’heure où nos promesses ne seront que l’éclat du jour qui parfumera notre litière tendre, je poserai au cœur de l’éphémère l’entièreté de l’invisible qui renferme la respiration du funambule qui m’anime. Et nous nous disputerons nos solitudes comme le font les oiseaux qui veulent échapper au chasseur. Je te parlerai dans ta bouche et ton ventre retentira de ce que nous n’avons plus. Nous brûlerons ensemble ce qui nous manque et nos spasmes siffleront un nouveau printemps, un monde neuf qui se réveille.