I185 - Fantôme des mots.
La tendance qu’a le noir à occulter tout ce qu’il recouvre laisse bien peu de chance à la luciole de parole d’éclairer la tranquille balade des mots.
Les mots se posent sur le silence, ailleurs le fond est trop bruyant pour leur offrir l’apaisement. Pour te deviner de ce que tu écris comme un jardinier qui plante et déracine tout à la fois, il me faut puiser à la pureté des ruisseaux où s’écoule le blanc des neiges fondues. Il faut aussi la patience qu’ont les fleurs avant de se traduire en fruit sous l’épaisseur jaune du soleil. Je te lis comme on découpe le temps de ses fausses éternités à nous convaincre que le moment est d’une rivière constante éperdue d’intensité jubilatoire. Tes mots sont en avance et je retarde toujours d’une bonne poignée de saisons à te lire dans la transversale de mes embruns où se sont calcinés mes souffles. Tes verbes sont souvent des précipitations et je roule avec eux comme l’on glisse dans l’herbe d’une pente en un champ de montagne. Je ne sais rien de comment tu écris. Je ne sens que ta respiration, je suis tes ondulations rythmées. Te lire c’est un peu devenir toi. Un peu t’occuper de mes propres circonvolutions à te pressentir de là où tu viens, de là où tu as trempé tes pensées. Il y a intimité à lire l’autre, à le faire sien, à l’habiter de nos meubles et de nos tapisseries. Toucher tes mots c’est un peu toucher ta peau et voir poindre tes étoiles dans mon ciel inoccupé à t’accueillir autrement qu’en t’offrant mes bras. Tes mots je les balade en moi comme des lumières. Je les traîne jusqu’à mon frémissement, je les occupe de mes frissons. Te lire m’offre cette délicieuse sensation de proximité alors que tu es absente de toute proximité. Je suis ainsi ton amant dans l’ombre sans que tu le saches et j’éprouve un certain plaisir à ce cache-cache. Une certaine pudeur malgré cet anonymat me retient à dire ceux dont je suis engorgé, ceux qui bousculent et perturbent jusqu’à mon quotidien. Je ne fais que te livrer un aveu en demie tinte. Mais sache le un peu tout de même, tu es mon livre préféré. Pour une fois le noir m’est complice et je m’y love sans détour.