T0624 - Ego sum pauper
Tandis que nos épaules fières pourfendent le vent de ses puissantes rafales, je reviens sur tes pas, froisser la prière ensevelie comme si l’on pouvait retravailler le temps et l’ajuster à notre guise au présent, l’incrémenter aux endorphines au travail où tu t’es imprimée.
Mille ans se sont écoulés et je demeure assis aux cotés de tes ronces dont il me plait aujourd’hui encore de ne voir que les fleurs. Tu demeures en ces lieux parce que l’amour nécessite de ne pas être seul. On aime tant à se sentir au dehors de sa solitude, à déplier les souvenirs et les tornades qui nous ont tenus en haleine et qui ont traversées nos silences de bout en bout. Tu es là debout à me fixer dans les yeux, les yeux dans les yeux à entretenir mes détresses, au ras de ma citerne à ébranlements qui résonne si fort ton futur proclamé comme une ancienne musique douce légère. Tu t’invites à mes terres insidieusement, aussi profondément que ne puissent résister les vaines raisons qui nous ont séparées et qui nous font encore exister dans une cohabitation close du vivant de ses devenirs, dans une virtuelle lancinante.
Toutes nos trahisons ont été si sincères que nos désespoirs s’illuminent encore des tristesses comme la seule forme admissible du bonheur pourtant échoué. Je te traîne sous mes paupières comme une vague qu’aucune plage ne saurait accueillir autrement qu’inondée. Aveugle de ne plus reconnaître l’amour de soi dans les yeux de l’autre qui me justifie dans mon rôle, je déambule sur les marais de mes chaos comme un oiseau marche sur l’eau ou plutôt sur la peau de l’eau stagnante. On sonne creux de toute part et nos vides ont rejoint la force de nos ego. Le hurlement s’est déposé sur l’horizontale du niveau zéro, la dignité élémentaire de nos sursauts exténuant la prise de conscience de nos capacités incapables. C’est à l’extérieur de soi que l’amour prend toute son amplitude et se vouloir utile au-delà de soi-même a nourri l’autre à l’amertume de l’ascète confrontant son vouloir plus à sa réalité d’insuffisance. Nous nous sommes tant parcourus que nos doubles se sont enlisés à une part commune devenue licencieusement étrangère. L’amour est un pari, nous le savions pourtant.
Nous avons parié sur la puissance de nos sentiments et sur la force de nos tolérances à nous concevoir différents à nous-même et complices de nos intimes corrélations. Agrippés de parts et d’autres aux inconciliables fragments de nos rives en exil, métissant nos paroles et nos avenirs à l’affinité du leurre des emboîtages candides dépourvus de préjugés. Nous nous sommes traduit par le négatif de la photo de nos matières que chacun a coloré aux grés de ses pulsions et de ses ardeurs et nous voilà postés en mémoire de l’image fixée dans l’immobile temps d’une bravoure singulière que nos ingéniosités à l’extension ont refusé d’étendre par delà. S’investir ne supporte pas l’erreur.
De nos absences épongées par le temps, la gravure persiste à interroger l’énigme de cette voix qui n’en finit pas de me parler des évidences dissimulées sous ses propres carences, et des errances funambules qui me vouent à réinventer ta présence aussitôt dérobée où l’interprétation invente encore.
Le meilleur est toujours dans cet avant consensus, celui qui sublime la rencontre, cet avant toute chose qui précède l’érosion de ce qui prétend aux ronronnements de la synchronicité que l’on croit perdurable.
Je t’ai aimé autant que j’ai pu être en phase avec ma propre identité, débarrassé de toutes invectives et de tout gage. Et c’est à me vouloir désaliéné que j’ai du te quitter. L’amour est la part en adéquation avec le réel la moins hypocrite qui soit et il m’était impossible de te tricher. Le vouloir se note à l’immédiat sans anticipation et sans calcul préalable. Le présent est la vie avec une majuscule.
L’amour est cette île que l’on voudrait immortelle alors que tout peut-être immergé à tout moment.
Le drame aurait du être l’ennui, la routine, le non-renouvellement d’intérêts, l’absence de surprise, le non-émerveillement, la monotonie duale dont la postérité ne justifie pas le sacrifice. Non, nous, notre esquisse s’est effondrée seulement de nos exigences aux excès des amours trop violents, trop fougueux, trop intempestifs, trop mortels.
Je dors sur ton herbe que tu cultives à tire d’ailes
Pour que les cœurs broutent à merveille
Tes vertes douceurs à nulles autres pareilles
Et que dorment apaisées tes crécelles
Au bois joli des vulnérables étincelles
Je dors dans ton sommeil de foin où la pelle
Ramasse l’ombre sous ton ombrelle.
Nous nous sommes tant aimés et si peu connus, tant embrassés et si peu chéris, tant embrouillés et si peu éclaircis, tant appelés et si peu entendus, tant approchés et si peu auscultés, tant imaginés et si peu ressemblés, tant serrés fort et tellement étranglés.