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LA COLLINE AUX CIGALES
27 septembre 2008

Nicolas Grimaldi :

3291

Nicolas Grimaldi : « Je ne peux guère avoir de sentiment sans en avoir conscience »

Propos de : Stéphane Vial

Du 26 au 30 novembre 2007, à l’occasion de la sortie de son dernier livre [1], le philosophe Nicolas Grimaldi était l’invité pendant toute la semaine de l’émission Les nouveaux chemins de la connaissance sur France Culture.

Au-delà de la très belle qualité du dialogue philosophique qui s’est engagé entre Raphaël Enthoven et lui, j’ai été très frappé — pour ne pas dire sidéré — par les propos de Nicolas Grimaldi dès l’entretien du 26 novembre, sur le moi et la conscience, et du coup, par transparence, sur l’inconscient.

« Je ne peux guère avoir de sentiment sans en avoir conscience »… « Je ne crois pas que je puisse céder beaucoup là-dessus »… « Je ne peux pas concevoir un sentiment dont je n’aurais pas conscience ; que je puisse avoir des inclinations dont je suis inconscient, ou que même subrepticement je veuille me dissimuler, il faudra bien l’accepter, mais ce ne sera pas un sentiment »… « Je crois comme Fichte qu’on ne peut pas sentir sans sentir qu’on sent, de sorte que la réflexivité est inhérente à la sensation, au point de faire de la sensation le premier degré de l’existence spirituelle ».

Qu’il me pardonne s’il me lit, mais quelle absurdité ! Lorsque je suis au fond de mon lit, en train de dormir, et que mon chat me caresse le pied sans que cela ne me réveille, mon système nerveux n’enregistre-t-il pas une sensation ? Et cette sensation, n’en suis-je pas totalement inconscient, puisque je dors ? Ne suis-je pas alors en train de sentir sans sentir que je sens ?

Et s’agissant des sentiments ? Ne vous est-il jamais arrivé de vous mettre en colère contre quelqu’un que vous aimez, sans pouvoir vous expliquer pourquoi une fois l’orage passé ? N’est-ce pas la preuve que vous ressentiez de la haine dont n’aviez pas conscience, justement parce que vous ne vouliez pas vous autoriser un tel sentiment à l’égard de celui ou celle que vous aimez ?

Deux jours plus tard, dans l’entretien du 28 novembre, Raphaël Enthoven revient avec une certaine habileté sur cette question. Voyant Nicolas Grimaldi agiter ses mains tout en parlant au micro de France Culture, l’auteur de Un jeu d’enfant, la philosophie lui demande si ce mouvement de mains pendant qu’il parle n’est pas la preuve vivante qu’il est possible de sentir sans sentir qu’on sent. Et bien non, Nicolas Grimaldi n’en démord pas. Pour lui, cela n’est pas possible. Il l’avait d’ailleurs annoncé deux jours plus tôt : « Je ne crois pas que je puisse céder beaucoup là-dessus ». Mais qu’est-ce que les philosophes ont donc tant à craindre ou à perdre en acceptant l’idée de l’inconscient ? On se croirait revenu au temps d’Alain ou de Sartre, les deux ultra-cartésiens du XXème siècle, enchaînés à l’illusion naïve et infantile de la toute-puissance de la conscience.

Freud appelait cela le conscientialisme des philosophes, incapables d’admettre la vérité : « Le psychique en toi ne coïncide pas avec ce dont tu es conscient ; ce sont deux choses différentes, que quelque chose se passe dans ton âme, et que tu en sois par ailleurs informé » [2]. Et toute la clinique psychanalytique — et même psychiatrique — en a fait la preuve des millions de fois au cours du XXème siècle. Sans parler de l’expérience intuitive que tout un chacun peut en faire.

Alors qu’un philosophe puisse encore soutenir pareille énormité au début du XXIème siècle, que ce soit Nicolas Grimaldi ou n’importe qui d’autre, voilà qui me choque et m’attriste 3302en même temps que ça ne m’étonne guère. Didier Anzieu disait très bien en effet qu’ « aux yeux du psychanalyste, le philosophe rentre dans le lot commun ». Il ignore jusqu’aux effets sur lui-même et sur ses idées de son propre inconscient.

Car non seulement on peut avoir des sentiments sans en avoir conscience, mais on peut avoir des pensées sans en avoir conscience. Si bien qu’on peut dire que les propos de Nicolas Grimaldi ont quelque chose d’obscurantiste et rétrograde, lui qui reconnaît pourtant avec beaucoup de justesse qu’on ne peut connaître que des bribes de soi-même et qu’« il n’y a d’homme que disloqué alors que tout dans la nature adhère à soi ».

NOTES

[1] Préjugés et paradoxes, Paris, PUF, septembre 2007.

(2] S. Freud, Une difficulté de la psychanalyse.

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