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LA COLLINE AUX CIGALES
24 juillet 2008

22 - LA JACHERE

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Depuis longtemps, depuis l’usure du premier jour, quelqu’un que rien n’appelle à cela, aimerait être une terre en jachère…

Le soc de la charrue a tracé durant des années ses longues lignes droites. La terre bonne joueuse a donné chaque fois naissance. Elle s’est laissée faire, à coups de labours et de semences, à coups d’engrais nocifs et empoisonneurs. Elle a toujours répondu présente et de sa clémence a nourri, a aidé, a produit, a offert.

Aujourd’hui, elle est un peu lasse, un peu fatiguée et elle voudrait bien qu’on lui accorde quelques répits. Ses sillons lui font mal. Ses traces mille fois répétées lui sont lourdes et douloureuses. Même le cœur des hommes qui l’ont chéri et caressé devient encombrant. Elle ne voudrait plus qu’on la touche, plus qu’on lui parle, plus qu’on s’occupe d’elle. Elle voudrait le calme. Déjà, les simples saisons lui sont pénibles. Il lui faut tantôt se couvrir, tantôt s’ouvrir, tantôt flétrir. Toujours s’adapter, s’ajuster, s’acclimater et cela revêt tant d’efforts tant de sacrifices, qu’elle n’est même plus sûre de pouvoir encore. Elle aimerait seulement qu’on la laisse tranquille.

Il fût un temps où l’autosatisfaction justifiait l’abondance de sa tache et de ses délivrancesbnu4 elle exultait d’un plaisir intense qui ravissait les regards. Belle, tendre, enjouée, tantôt jaune tournesol, tantôt vertes roseau, ou épis de blé, toujours tonitruante et souriante aux passants. Il fût une époque où généreuse à souhait, elle laissait le soleil la murmurer, les oiseaux la raviner, les insectes la butiner. Un printemps, elle succomba même aux délices des piétinements humains qui lui semblaient de merveilleux clapotis sur son jardin. La lame biseautée qui la griffait, la dégrafait, la labourait, lui provoquait des jubilations extrêmes et de ces délicatesses elle se pâmait d’une allégresse à bourgeonner toute sa nature. Un temps qui lui confiait un mélange d’ivresse entre sa bravoure et ses accouchements. Un temps où son meilleur amant était son affirmation à se patronner, à s’autoriser.

Et puis, advint la culture intensive, celle dont on ne se satisfait jamais et dont chaque saison n’est plus livrée qu’à une production encore plus importante, encore plus copieuse. L’injonction est à produire, donner, donner encore et toujours plus, sans sourciller, sans se plaindre, sans prendre le temps.

Tout devint alors approximatif. Et de donner naissance, il lui fallut donner lieu. Abonder à la prolifération. Multiplier.

L’irrégularité cyclique de ses semis contribua beaucoup à l’appauvrissement de son exploitation. La terre devint rouge comme le ciel certains soirs, triste comme l’enfant que sa mère laisse à la nounou bienveillante, molle comme une habitude répétée malgré qu’elle soit dépourvue de sens. Aveuglement le temps s’exécutait de son heure à rompre la suivante.

Des années durant, la cadence était là. Les composts naturels étaient maîtrisés, éconduits, jetés. Les humus odorants n’avaient plus la saveur des jours de sueur, ni la mélodie des chansons qui font frissonner la tourbe les matins de printemps. Rien n’était plus ce qui avait été.      

Il aurait fallu sans doute le brûlis pour que la terre puisse retrouver quelque peu sa fécondité. Il aurait fallu probablement un dépaysement pour asile aux déconvenues enregistrées, entassées et absorbées. Et pour ne point se dérober devant de nouveaux commencements, il eu fallu qu’elle se déborde à elle-même. Vaillante de son champ de nouveaux ruisseaux, des nouvelles pentes, des alluvions inconnues, des pousses naissantes,Correggio_061 même si encore parmi elles, se trouvaient de ces herbes envahissantes qui étouffent. Elle aurait aimé se terrer de ce qu’elle est, et poursuivre à développer les racines qui la fermentent de toutes part. Elle aurait préférée ne pas se dérober, persister à accueillir la pluie, le vent et la neige comme autant de bouchées de vie. Mais elle est épuisée. De cet épuisement, elle implore un peu de temps à se remettre, à reposer ses mottes, à phosphater ses limons, à ferrer sa farine brune.

Elle voudra renaître, soyons-en sur, à de nouvelles campagnes, à des nouvelles irruptions. Faut juste la laisser dormir un peu. Reposer. Dormir d’un silence du dedans, rêver à de nouveaux branchages, de nouvelles haies, de nouvelles lames. Chut !!! Elle s’assoupit, laissons-la aux salvatrices résurgences de sa nature…à sa jachère. Et demain, à l’aurore, portons-lui, la coupe solidaire de nos sourires complices.

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Commentaires
B
Ne pleures point : « Et demain, à l’aurore, portons-lui, la coupe solidaire de nos sourires complices. » que l’émotion te soit légère.
B
Remonter est le verbe, bien que légèrement revu, il remonte ! Sourire
-
J'en ai les larmes aux yeux...
.
C'est un beau texte que tu fais remonter là.
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