0553 - les greniers de l'enfance
Au vide grenier des esprits trop chargés et recroquevillés par le poids de l’usure dans les espaces remplis d’innocentes incertitudes, le doute rongeur de temps accompli son travail de sculpture et taille habilement les branches qui dépassent. Elaguées, les questions sans réponse jonchent au sol des latences.
Sous le toit, tout n’est qu’entassements, enchevêtrements et désordres rangés. Les mondes se superposent les uns sur les autres comme les feuilles écrites d’un autre univers. La charpente de bois délimite l’aire où tout s’entasse et s’empile, retenant prisonniers sous les tuiles vieillies, les querelles passées et les promesses jamais exaucées. Quelquefois s’emboîtent les cartons de l’inadvertance amoncelés là comme si le hasard et l’oubli s’étaient conjugués en un seul amas insouciant. C’est une histoire de rythme, de temporalité, de musique, d’ondes dont les souris et les rats font festins. Au sol, des miettes de cartons témoignent de la faim avide des rongeurs. Tout au fond, on aperçoit une caisse patinée de vieillesse au couvercle abîmé. Dessus est noté au feutre : « libre-arbitre ». Il est aisé de voir à la poussière déposée que cette malle n’a plus été ouverte depuis fort longtemps. Peut-être, a-t-elle servi seulement aux temps des urgences que les souffles de vie interpellent lorsque les choix se font indécents. Peut-être, a-t’elle renfermé les spectacles affriolants de quelques banquets d’amour où la danse des cœurs immunisait les acteurs de tout immobilisme. Peut-être, retient-elle encore, quelques parfums sucrés des mémoires joyeuses d’une époque révolue.
Le sous toit renferme tant d’affirmations amputées, qu’il est sans doute hasardeux d’imaginer l’accomplissement défunt. Et quand bien même, les recueils des petites morts giraient par là, probable que dans ces paroxysmes comme dans ces pires, une part de vertu a dû voir le jour.
Une valise, a demie ouverte, coracolle dans ce musée du temps, avec la pénombre de cette espace où l’instant c’est semble t’il s’est arrêté, et où tout à l’air d’avoir trouvé une place. Il s’agit sans aucun doute, à voir les turbans de couleurs et les dessins d’écoliers, de la valise de l’enfance. L’intérieur parait encore vivant et une douce lumière s’échappe par la fente de cette entrouverture. La main curieuse aurait probablement ouvert et houspillé cet entassement de rêves. Mais, l’inutile de l’action, la retenue. Les comptines et les musiques s’évaporent doucement de ce lieu infermable, et peu à peu elles retentissent aux oreilles et elles ont transit l’acte, surpris. Puis, la connexion avec l’avant est immédiate. La connivence instantanée. A visiter ses combles, on tombe forcément sur cette valise. L’enfance n’est pas un lieu clos. L’enfance est la pleine affirmation de soi, le rejet du non-moi. L’enfance ne sait pas mourir, même si on n’en connaît plus que l’aire avouée par laquelle on l’aborde, ses creux limogent les raisons aux pinacles des entendements, laissant à portée de main, la puissance de rires cristallins. Au sortir du grenier, il n’est pas rare que d'avoir cette féroce envie que de jouer à la marelle.