Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LA COLLINE AUX CIGALES
13 mai 2008

Blaise PASCAL

1_Agathe

Blaise Pascal, « Le moi est haïssable »

Pure illusion de l'imagination, le moi serait une passion abusant autrui autant que nous-mêmes. L'amour-propre pousse les hommes à paraître plutôt qu'à être, à rêver leur vie plutôt qu'à la vivre.

Par Olivia Gazalé

Amis narcissiques, la prochaine fois que quelqu'un vous en fera le reproche, répondez-lui avec Blaise Pascal que le nombrilisme est la chose du monde la mieux partagée. Cette « maladie de l'âme », qui consiste à se préférer soi-même à toute autre chose, n'épargne personne, y compris ceux qui se donnent l'air de la générosité et du désintéressement.
Si le « moi est haïssable », c'est que le monde est peuplé de milliards de « moi » qui veulent chacun « se faire le centre de tout ». Il en résulte que « chaque moi est l'ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres ».
Quelle est la racine de cette passion « tyrannique » qui excite chacun à se pousser du coude, à bomber le torse, à vouloir briller en société et « asservir les autres » ? La paresse, répond Blaise Pascal, qui montre qu'il est plus aisé de paraître que d'être et également moins coûteux d'être aveuglé que convaincu. Ainsi, la petite phrase ne peut être comprise qu'à la lumière de la critique pascalienne de l'imagination. Aux exigences ardues de la raison, les hommes préfèrent les séductions faciles de l'imagination. Quand l'âpre quête du vrai nous rebute, nous nous satisfaisons du confort qu'offre le vraisemblable. Succomber aux sortilèges de l'imagination, c'est donc choisir de nous « crever les yeux agréablement ».
Cette toile de mensonges rassurants que tisse patiemment notre imagination mystifie peu à peu notre conscience au point que nous confondons tout : le vrai et le faux, le profond et le superficiel, l'intérieur et l'extérieur. Nous sommes pris au piège : les images se donnent pour des réalités et les sentiments pour des convictions. Dans ce mirage, nous ne savons plus où est notre moi profond, perdu dans les représentations factices qu'il donne de lui-même.

Notre conscience est à ce point subvertie par l'imagination que nous déployons plus d'énergie à fantasmer notre vie qu'à la vivre. Et c'est ce moi fictif que nous offrons à la crédulité d'autrui. Paraître, c'est remédier au vide de sa propre existence en vivant une vie rêvée dans l'esprit d'autrui. « Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et notre propre être ; nous voulons vivre dans l'idée des autres une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paraître. » Mais chacun n'abuse autrui qu'en s'abusant lui-même.
Reine des faux-semblants, l'imagination nous rend invisibles à nous-mêmes autant qu'impénétrables aux autres, à tel point que « la vie humaine n'est qu'une illusion perpétuelle ; on ne fait que s'entre-tromper et s'entre-flatter ». Vaine comédie, dans laquelle chacun joue un rôle de composition sans en maîtriser le texte. Farce grotesque delacroix22dans laquelle le moi, telle la grenouille de La Fontaine, enfle démesurément, se donne de grands airs et accumule les « grandeurs d'établissement » – fortune, réputation, honneurs – pour se masquer sa petitesse : « Il veut être grand, il se voit petit ; il veut être heureux et il se voit misérable. »

Confondu par sa propre imposture, il n'a alors d'autre issue que l'hyperbole narcissique : faire de lui-même sa propre idole, s'adorer sans limite, devenir Dieu et rayonner dans tout l'univers : « Nous sommes si présomptueux que nous voudrions être connus de toute la terre. » Pathétique « divertissement » que l'amour propre ! Il nous éloigne de nous-mêmes, d'autrui et de Dieu. Et lorsque le rideau tombe, que la lumière s'éteint et que le théâtre se vide, le moi est nu et Narcisse tragiquement seul.


Blaise Pascal en six dates
1623. Naissance à Clermont-Ferrand, en Auvergne.
1642. Mise au point d'une machine à calculer, la Pascaline.
1654. Nuit d'extase mystique et conversion au christianisme.
1656. Début de publication des Provinciales.
1662. Mort à 39 ans, à Paris.
1669. Publication posthume des Pensées.

Publicité
Commentaires
B
" Le visage est signification, et signification sans contexte. Je veux dire qu'autrui dans la rectitude de son visage, n'est pas un personnage dans un contexte. D'ordinaire, on est un "personnage" : on est professeur à la Sorbonne, vice-président du Conseil d'Etat, fils d'un tel, tout ce qui est dans le passeport, la manière de se vêtir, de se présenter. Et toute signification, au sens habituel du terme, est relative à un tel contexte : le sens de quelque chose tient dans sa relation à autre chose. Ici, au contraire, le visage est sens à lui seul. Toi, c'est toi. En ce sens, on peut dire que le visage n'est pas "vu". Il est ce qui ne peut devenir un contenu, que votre pensée embrasserait ; il est l'incontenable, il vous mène au-delà." <br /> <br /> Emmanuel Levinas, Ethique et infini
B
Comme d'habitude, il est à la rame !!<br /> Rire.
.
Il n'y a que sur les galères que l'homme parvient à perdre l'obsession saugrenue de sa totalité.
S
Tes mots sont limpides. Et par effet miroir je repensais cet aprés midi, aprés t'avoir lu, au visage de l'autre de Lévinas...
LA COLLINE AUX CIGALES
  • Dépotoir et déposoir de mots, de pensées... Ici repose mon inspiration et mon imaginaire ; une sorte de maïeutique effrénée et dubitative et il me plait de pouvoir partager à qui veut bien.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 207 345
LA COLLINE AUX CIGALES
Publicité