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LA COLLINE AUX CIGALES
26 octobre 2007

Toute prise de conscience est elle libératrice ?

f_0702La question semble indiquer que la conscience lucide autorise immédiatement une libération. Mais celle-ci peut aussi nécessiter un passage à l'action : on a sans doute intérêt à opérer la distinction entre désir de liberté et libération réelle.

Prendre conscience c'est se rep
résenter une réalité présente qu'on ignorait.

SARTRE : « la conscience en elle-même est liberté, et c'est elle qui donne aux choses leur sens. Mais la prise de conscience reste un travail à accomplir, faute de quoi on est un « salaud ».

Si je prends conscience de ce que j'ignorais ou de ce quoi j'étais jusqu'alors indifférent, je ressens comme un début de maîtrise : il ne suffit pas de savoir désormais que, dans le monde, il existe des enfants qui travaillent comme des esclaves, il est clairement nécessaire que je condamne de telles pratiques.
Oui, mais ensuite ? Me contenter de faire connaître mon indignation, n'est ce pas retomber dans une autre illusion ; même si elle s'accompagne de bonne conscience ?

(L'inconscient selon Freud, ignore le temps)
C'est une action constante de l'événement perturbateur qui perturbe la conduite de l'individu. Il est guéri ou rétabli, il cesse de souffrir et d'avoir une conduite pathologique lorsqu'il réussi, grâce à l'aide d'un analyste et de son écoute, à réinscrire l'événement ancien dans sa propre histoire en lui ôtant sa signification traumatisante. Dans pareil cas, la prise de conscience est bien libératrice, car elle efface le malaise et libère d'un passé mal compris.

Prendre conscience de ce que l'on est, suffit-il ?
Suffit-il que je sache de moi que je suis paresseux, que j'ai un sale caractère ou bien même que je suis jamais satisfait, pour que je sois défait de ces défauts ? Cela serait évidemment pratique, mais aussi trop simple.
Et au contraire, j'aurais plutôt tendance à m'en servir comme excuse : « Vous savez bien comment je suis... »
Ce qui revient à emprisonner sa colère au lieu de la laisser éclater. De ce point de vue, la prise de conscience n'est pas automatiquement libératrice ; en elle-même, elle ne suffit pas à changer l'individu : tout au plus, peut elle l'avertir qu'il lui faudrait changer.

Dans les deux cas évoqués, ce dont on devrait se libérer est intérieur.
Pour qu'elle réussisse à en libérer, la prise de conscience implique un travail sur soi-même.
C'est la complaisance à l'égard de ce qu'on est qui nous interdit la libération. Cette complaisance toujours possible révèle, dans la prise de conscience elle-même, une sorte de faiblesse ou d'illusion : prendre conscience de quoi que ce soit, c'est s'en détacher.

En ballade dans un champ, je peux être indifférent à ce qui m'entoure : il suffit que je sois alors plongé dans mes pensées. Je n'ai en conséquence qu'une perception vague des éléments de la nature. Mais si mon pied bute sur un caillou, je prends brutalement conscience de sa présence, et lui donne aussitôt un sens : il faisait obstacle à ma progression. Ce sens dépend de mes occupations du moment : si j'avais été à la recherche de motifs à peindre, peut-être, aurais-je ramassé le même caillou en le trouvant pittoresque. Dans les deux cas, l'objet existe grâce à ma conscience, et c'est bien elle qui lui attribue une signification à partir de ses projets. Aussi, elle confirme sa liberté relativement au monde des objets, puisqu'elle leur est extérieure et irréductible. Autant considérer, avec SARTRE, qu'elle est en elle-même liberté absolue.

C'est cette conscience libre qui donne leur signification à toutes les situations.
Une même situation peut donc susciter des significations différentes selon les consciences qui l'appréhendent : qu'il y ait dans une société des très pauvres et des très riches, peut être interprété comme normal ou scandaleux en fonction des valeurs que privilégient deux consciences.
Mais la liberté de ma conscience peut aussi m'amener à apprécier différemment une situation qui se répète : c'est que j'aurais moi-même changé de projet ou d'analyse. Ainsi le réel est à la disposition de ma liberté : me rendre quotidiennement au travail peut me paraître un jour ennuyeux, et le lendemain bénéfique.


Sans doute cette disponibilité du réel à mon humeur n'est-elle pas absolue : certains de ses aspects peuvent résister à ma liberté, mais en prendre conscience, c'est alors constater l'existence de déterminations (qu'il s'agisse du déterminisme des phénomènes naturels ou de déterminations sociales). De ce point de vue, la prise de conscience des situations sociales ou politique dans le monde consiste à y repérer ce qui les détermine.

Différence entre liberté et libération.
Repérer de telles déterminations, c'est aussi éprouver que la liberté réelle est encore insuffisante. La libération apportée par la prise de conscience désigne seulement la sortie de l'ignorance, l'accès à une certaine (ou à une meilleure) connaissance, mais cela ne signifie pas qu'elle apporte la liberté maximale.
Evoquer la libération est ambigu, dés lors qu'on admet que la conscience est toujours déjà libre par sa nature elle-même.
Peut-elle, ou doit-elle, se contenter de sa liberté propre ? Faut-il qu'elle la complète par une libération qui, loin de désigner seulement la fin des illusions à l'égard du monde, désigne aussi le déploiement de libertés en acte dans ce monde ?

Lorsque SARTRE écrit que les français n'ont jamais été aussi libres que sous l'Occupation, la liberté qu'il évoque réside bien dans le fait que la prise de conscience de l'Occupation obligeait chacun à prendre partie : la situation dans laquelle on n'est plus passivement plongé contraint au choix (et l'absence de choix est encore un choix).

Du choix libre à l'action.
L'Occupation oblige à assumer la liberté de la conscience, par un choix lui-même libre entre collaboration et résistance. Dans le premier cas, la prise de conscience ne débouche pas nécessairement sur une action libératrice ; elle sera considérée comme libératrice en elle-même. Par contre, le choix de la Résistance implique le passage à l'action (action libératoire, non pas de la conscience, mais des autres et d'un territoire) On voit que les deux dimensions libératrices ne sont pas équivalentes, et que la première peut paraître abstraite relativement à la seconde.

Si la conscience est libre parce qu'elle est toujours en projet, la liberté est aussi nécessairement en projet. On doit alors penser la libération comme nécessaire complément, et non comme son synonyme. Dés lors, la prise de conscience n'est authentiquement libératrice que si la liberté qu'elle confirme se prolonge dans la libération.
Faute de quoi elle demeure en effet abstraite et sans véritable efficacité, c'est-à-dire sans inscription dans le réel ou dans la vie des hommes.
A quoi bon, par exemple, prendre conscience d'une injustice si le seul bénéfice à en attendre consiste en une connaissance plus précise du réel, sans que cela change quoi que ce soit à l'injustice en question ?
On est amené à considérer qu'un tel bénéfice, interne à la conscience, n'apporterait qu'une satisfaction très subjective, dont on peut aussi bien mettre en cause la dimension morale.

Il n'en reste pas moins que, même si elle semble insuffisante à garantir directement une libération concrète, la prise de conscience est une condition nécessaire au désir de libération. En faisant valoir que les ouvriers du XIXe siècle subissaient une aliénation telle qu'ils ne pouvaient même plus prendre conscience de leur propre situation, Marx ajoutait que cette conscience devrait leur être apportée par les théoriciens qui leur apporteraient en quelque sorte la liberté de mieux se penser.
Après une telle prise de conscience, c'est toutefois de leur action que dépendrait leur éventuelle libération. L'analyse est sans doute transposable à des situations contemporaines (voire individuelle) : elle enseigne que c'est bien le réel qui peut étouffer la conscience libre, et qu'un tel étouffement interdit cette fois toute prise de conscience minimale et toute action.

Pour être un tant soit peu libératrice, la prise de conscience doit d'abord être possible. Qu'elle dénonce l'illusion ou le faux savoir est libérateur pour la conscience elle-même, et pour l'individu, mais on peut concevoir que la libération concerne la réalité elle-même, pour peu que l'on considère que la liberté, loin d'être un acquis, reste toujours en chantier.

La prise de conscience n'apparaît alors que comme la première étape, nécessaire mais non suffisante, d'une libération bien différente, qui doit être confirmée par l'action.
 

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