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LA COLLINE AUX CIGALES
21 novembre 2013

10 - Lourd est le grain, copieuse est la semence de l’esprit.

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Aorte blessée, je veux te raconter jusqu’à l’effarement des maux les plus extrêmes. Ma parole est aveugle et ne sait plus regarder dans les yeux du monde. Je te parle et les sons tremblants auxquels la parole recourt témoignent des heurts qui crissent à ma mémoire licencieuse. Je te parle des échos profonds qui ressurgissent de ma chair violentée. J’habite les flammes d’un volcan que je croyais endormi, mais des sursauts de lave bouillonnante jaillissent et me contraignent à toutes les séquelles de la pensée uniforme. 

Je ne sais plus qui de la parole ou de moi est arrivé le premier. A te révéler ce qui déborde par mes pores en alerte, un fleuve inonde les prairies qui le bordent et la confusion me guette. Le mot s’expulse de moi comme un caillou de foire, comme un amas de sang jonglant avec des quilles. Il taraude une surface inconsciente, et après l’avoir éjecté de moi, il meurt de s’être tenu debout face à toutes les évidences. Son homogénéité transparente et invisible emporte avec lui plus que je ne pense.

Parfois réfléchir m’endort. Et, parfois, je dors en rêvant que je lis une suite d'idées qui ne m'appartient pas ! Comment s'y retrouver ? Je suis influencé par tout ce qui me traverse. 

Ne pas éprouver la cruauté de la réalité nous conduirait à l’absence de nous-même. 

De mon sol sans copeau et de mes fondations sans félicitée, la parole efface la mémoire vivante et elle cède sa place aux vertiges pré historiques. Je te parle des mondes que je ne connais pas et qui sont cependant cette peau de vie perpétuelle dont l’errance m’envahit. Je te dis le souffle des souffles gonflant le verre à chaud. J’occupe le trajet chaotique qui s’étire de ma langue d’expériences jusqu’à ma langue morte et ma parole renaît sans cesse comme une vague éternelle. 

Dans la carlingue des mots, l’expression jubilatoire vole et s’envole comme un oiseau traverse l’horizon en quête d’un nouveau lieu de nidation. A la grammaire des bruits, aux vocalises qui se préparent au fond de la gorge, de la pitié du jour où planent les projets d’exils de mes impuissances corrosives, je te parle à l’intérieur de mon silence et je ne cesse de m’inventer pour reconstruire la parole qui s’envole du chemin. Je me dissous dans le creux des mains où le jour s’épuise, je suis le sanglot inébranlable de mes défaillances. 

Envie de changement ? Ce n’est pas en modifiant l’aspect de son quotidien que l’on révoque l’ordinaire. L’émerveillement habite des strates bien plus profondes. Nous disposons tous, en-soi, de la lumière nécessaire à notre possible épanchement harmonieux sur une réalité capricieuse. Faut-il pour cela demeurer en éveil et ne pas sombrer dans la lassitude glauque du paraître.

Jusqu’où faut-il avancer pour voir la profondeur de son jardin ? Par quel chemin s’en va la rivière des jours heureux ? Jusqu’où faut-il s’ignorer pour devenir quelqu’un dans les yeux des autres ? Une présence, même invisible, joue avec ma conception de la matière.

Le compagnonnage souverain de la communauté des hommes oblige à l’humilité. Les points de ressemblance sont grossis plus que d’ordinaire. La nostalgie m’accapare, elle tient la force vitale haut le cœur. Pour oublier, il me faudrait labourer sans cesse la terre fraîchie.

Mon existence nouvelle ressemble à la prothèse que je n’ai pas supportée. Prolonger son corps avec une matière anonyme procède d’une bonne intention mais le contact avec la résine froide m’a découragé à être unijambiste. L’art de vivre conteste, séance tenante, tout attribut de remplacement concédé à l’absence. Je n’ai pas les qualités requises pour maîtriser tous mes instincts. L’instant qui ne m’enrichit pas, me délabre. Le souvenir d’un corps entier me flagelle par des apparitions violentes. Je demeure captif de l’horizon que je fixais précédemment. Une part du passé est restée si proche de ma vie que cela m’émeut. La mutilation qu’a connue mon corps n’est pas mortelle. Je me dispute avec le désespoir, je lui refuse l’idée d’infirmité qu’il me rétrocède. 

Sur le parement de mes cendres, des oiseaux ruminent le marbre que je n’ai pas connu. Dans un ciel d’hiver, les astres divaguent comme une parole titubante soufflée d’alcools, saoulée d’un paradis pernicieux. La brise du soir colporte le givre qui prend place sous mes paupières. J’avance dans une nuit divergente, le noir et mes pensées se disputent la place du mort. Dans la percée des lueurs saugrenues traînent les exigences du dernier repos. L’apaisement cogite avec la turbulence. Demain sera clair si les rideaux du vent chassent le dentier mourant de la bouche amère. Toute mon existence est aux coudes à coudes avec la maturité du noir. Je veille sur un syncrétisme inopérant. La communion d’une flopée d’heures n’empêche pas le désassemblage. L’unité reproduit le partage et la discorde des flammes composites de l’âme éperdue. 

La folie m'invite aux rejets de toutes concessions. L’être insignifiant s’étire malgré moi et se distend au-delà de la glose judéo-chrétienne. Mon alphabet n’a de ressources qu’à l’ombre des raisons culminantes. « Il n'y a pas d'activité humaine qui ait autant que l'action besoin de la parole* », me rappelle Hannah Arendt. Je dois vivre malgré l’handicap et la chute devient l’implacable format du désir dépourvu de sens. Mon enfance se déchire sur l’abrupte vérité où demeurent mes lacunes et le sang de mes racines se brise. * La vie de l’esprit

Il me faut réapprendre à bouger dans un espace qui s’est agrandi. J’éprouve la même sensation mais à l’envers que lorsque devenu adulte, je suis retourné visiter la maison de mon enfance. Chaque pièce me semblait rétrécie et exsangue. A présent, avec le recul, je me rends compte combien le souvenir cache bien plus que le simple réel. Dans la chambre que j’occupais, mon corps d’adolescent avait disparu mais son ombre demeurait allongée sur le grand lit où je grandissais. 

Lourd est le grain, copieuse est la semence de l’esprit. Tous les champs d’orties granuleuses que l’on porte malgré soi, contre soi, s’échouent aux marées d’équinoxe. Derrière la lagune sauvage s’ébrèchent des sacs entiers de déformations, de limailles saillantes, d’urgences révoltées et d’usure dégénérative. L’illusion convertie d’un champ d’applications puise sa force à l’assurance morale qui lapide la bonne foi et l’intégrité de la graine naturelle. La raison est dissidente, elle brocarde la bestialité de la source et convaincu d’elle-même, elle s’autorise des baisers invincibles.  

La main despote du diable tiendra-t-elle encore longtemps la grille d’acier qui tombe sur le jour ? Combien de larmes essuieront encore l’ingérence des coups du sort ? Je pioche aux douleurs urticantes la salive apaisante, mais rien n’y fait. Je suis serré par la main épaisse d’une nuit sans retour. L’alliance au discours logique ne parvient pas à rassurer l’esprit vagabond. C’est la pensée en exil que j’affronte la douleur de mes sens au repos. Etre compris rassure. J’appréhende la différence qui renferme et séquestre. J’exècre le mot qui occupe tout l’esprit oubliant la phrase toute entière. Renouer et renouer sans cesse, les heures qui se replient dans le jour. Je tisse la lame tranchante au cœur de l’écrin de cuir enveloppant la lune et les étoiles. Je file et je file, une vie n’attend pas. La part des choses est solitaire, elle plane sur l’unité déconstruite. 

Parfois, mon esprit s’ankylose plus que mon corps. J’entre vivant dans l’absurde, je le relaie, je l’épouse, incapable de faire front avec la transparence de l’air. Mesquinerie des souffles, ma respiration ne convoite pas le détail. Ma vie se poursuit au-delà de l’absence qui m’empoigne. Mon corps, par ses blessures, réinvente le berceau de ma chair avec la plaie noyée dans mon esprit. Toi, l’étranger, debout à côté de mon ombre, tu marches sur la vigilance que je n’ai plus. Tu m’apparais à ton gré, et tu m’effrites un peu plus à chaque venue. Lorsque la nuit déverse sa pluie fine, j’aime voir pousser, sous le reflet des lampadaires, l’herbe sur les digues et les trottoirs. J’aime l’odeur du monde perdu et la campagne mouillée qui échappe à la séparation de la ligne d’horizon. Je me voudrais tout à moi mais la distance me cache les formes singulières de l’unité. J’incarne un syncrétisme ambigu, une communion désaltérée à l’inimaginable.  

Dans la terreur, je voudrais oublier que j’existe et dans la joie plénière ou dans l’exaltation, je voudrais embrocher le jour qui me donne vie. Toute mon existence est belle comme une tempête. J’ancre ma voix à mon corps et je chante à tue-tête comme un marin fête son retour après un long périple. La main morte qui me sert d’appui pour les transferts résonne l’adieu des mouettes sur les fronts de mer. Il n’y a pas de blanche colombe sous le parapluie des destins fanés. Je débogue des paroles attachées aux images que j’ai conservées de la vraie vie. Leurs silences me réveillent et j’entrevois une lueur capable de me faire oublier l’existence de nulle part. L’amour souterrain qui m’anime a la vertu de l’oiseau qui ne peut se poser. Une arbalète sensuelle se dresse et vise la promesse qui maintient mon être au-dessus des nuages. Je m’ébrèche comme le vase de Soissons et l’entaille saigne les saveurs perdues.

 

Extrait de : La main dans le Chapeau. - Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
M
On ne guérit pas de la vie<br /> <br /> Vous êtes un grand fleuve !<br /> <br /> <br /> <br /> Merci pour ce partage.
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