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LA COLLINE AUX CIGALES
10 novembre 2013

6 - Je suis un étranger nécessiteux.

Peinture_femme_nue_2

Défier la mobilité dans sa plus simple expression, est-ce aussi lui attribuer la part figée de ses chairs mortes ? Mon corps se refuse à être le pantin d’une opinion, d’un jugement ou d’un précepte empirique. Corps est âme, et réciproquement. Le lien est si menu et si subtil qu’aucune manigance n’interfère pour une dissociation. Je ne pense pas pour être, je suis l’émulation permanente entre ce que j’accomplis et la raison qui me conduit à exécuter un mouvement. Tout entier, vivant dans l’acte, je suis le souffle qui tranche l’air et qui repousse les perspectives de la réalité jusqu’à sa réfutation la plus virulente. Rien d’autre n’existe que ce que je fais vivre par ma pensée. Et, si nous sommes nombreux à concevoir le présent ainsi, alors, le réel devient réel par lui-même. Je suis désarmé de scrupules lorsqu’il s’agit de bouger. Je veux acter le jour, l’imprégner tout entier pour me convaincre de sa présence. Le temps se soucie peu de savoir si on le traverse de biais, à califourchon ou bien d’une seule traite. Je suis asservi d’un dieu dont je suis propriétaire et le garant intemporel. J’aime la pluie lorsqu’elle ruisselle sur mon visage. J’ai l’impression de toucher à la matière qui me proclame vivant parmi les vivants. 

Ce que je ressens n’a pas d’allure. Une plaie vive accrochée à l’obstacle résistant à toute stupeur refuse d’être nommée. L’absence en soi remaniée lutte pour asseoir le jour qui ne tient plus. La fuite revêt des couleurs insoupçonnables. Mon esprit flotte comme un étendard détaché de son mat. J’oublie la langue des manoirs insalubres, mais la densité du vide broie toute exclamation. 

L’ivresse de la mort paisible déloge le langage. Les perceptions ne viennent plus dire la détresse longeant la chair. De simples chuchotements d’air annoncent le diagnostic. Déchirements, dérélictions, conjurations et prières. Rien ! Dans le caveau des sens, l’effacement est complet. Quelques grains de blancheurs roulent doucement sous les paupières. Puis, soudain, le noir total. L’abandon crache sa bave poisseuse sur le miroir éclairé. Dans l’instant, la réalité contrariée s’efface comme une buée que le vent effleure. 

Le sommeil profond conjugue la présence éculée avec la transparence. Une vie, par ici, claque la porte du jour avant de rejoindre l’entonnoir de la déportation. La résistance qui s’oppose au trépas cherche dans l’urgence d’une sur-vie la transfusion de lumière qui lui procurerait l’ajournement. Une gerbe de soleil franchit la frontière et ajoure les veines d’un sang revigoré. La volupté rafraîchit encore l’auge dans laquelle baigne la dernière image. Elle gribouille le déferlement d’apoplexies animales rugissant dans les entrailles de ma chair. Je reviens, mes enfants m’appellent. L’amour sonne le cor et donne le rythme au corps tout entier. Les heures molles sont dans le reflet des regards fermés, dans le cloisonnement issu de la compétitivité entre les hommes et la nature. Un sourire partagé ouvre la voie. Il est impératif de surmonter l’épreuve. Revenir.

L’exercice est invisible. Sur le lit médicalisé, la lumière est sous les draps. Je ne sais encore rien du délabrement de mon squelette. L’ignorance est duveteuse et je rechigne à la quitter trop rapidement. J’ouvre les yeux. Des silhouettes insignifiantes s’agitent autour de moi. Il est treize heures ou minuit, je suis à Cassis ou à New York. Qu’importe. Les murs de mon château de cartes s’enfoncent dans la mer. Des caves souterraines m’offrent de marcher sans être vu. J’y trébuche sans parvenir à comprendre pourquoi. Tout rompt, et les destinations espérées sont des leurres. Je projette des images connues mais tout persiste à s’effondrer. Il faut le réveil. 

La détresse ne vient pas tout de suite. Plusieurs jours durant, j’ai trifouillé ma mémoire, cherchant, l’incident, le choc, la rupture qui aurait pu me plonger dans cet état de semi conscience. L’ordre a du être donné pour que je me heurte au cadenas du souvenir. L’instinct fait preuve de ressources insoupçonnées. Me voici, flottant entre deux mondes. Un pied à terre et l’autre jeté dans un précipice sans fond. 

Désencombrée, la peur se ramifie aux ruines, elle renifle la perte comme un os esseulé. On ne bascule pas dans la crainte sans être désemparé. Dépourvu d’avenir, le présent souffre le repli desservant ses projets. La nuit, qui par nature, accomplit des rêves débordants l’écume grise des frontières, décapsula le réel en une multitude de métaphores. Il est des rêves qui réécrivent le jour par petites touches révélatrices. Je sais, à présent, qu’il me faudra tenir debout dans le face à face avec l’aube qui m’attend. Le destin côtoie l’holocauste des pensées qui s’évadent tristement parmi les étoiles en fusion. Quelqu’un traficote ma main gauche, je vois les phalanges nues sur le vif des supplications. S’il vous plait, ramenez ma chair aux fonctions primitives. Ne coupez pas les doigts qui s’ouvrent comme une fleur leste et légère. Recousez de fil blanc, les plaies rougeoyantes. Brûlez le jour de décadence ! Que le feu envahisse de ses flammes pures les frissons qui pleurent.     

Laissez-moi dormir encore un peu. L’éclat du jour me semble une lame trop tranchante. Je voudrais dormir mille ans. La vérité est-elle toujours légitime ? J’ai l’impression que mon cœur est un os. Je crois sentir les dents de la frayeur déchiquetant mon corps. Il est temps de déplier les ornières où ma vie s’est embusquée. Ne me montrer pas ce qui manque, faites-moi voir ce qui reste. Que je puisse attacher un peu d’espoir aux jours qui viennent. Que le supplice du réel ne soit plus qu’une salve pour l’horreur qui déchire mon existence comme un simple papier flottant parmi les ondes légères. 

Vingt et un jours durant, cette phrase gicla jusqu’aux tonsures d’une vie, et elle détériora celle de ceux qui m’accompagnaient : « Le pronostic vital est toujours engagé ». Personne ne savait l’issue de ce tournoi avec les ombres. Pas même moi. Un moment, la douceur de la mort m’attira comme une abeille sur du miel. Le blanc, la lumière blanche sucrée, le calme prodigieux, la souveraineté du silence. Toutes les conditions d’un apaisement total m’étaient offertes. Et, j’avoue y avoir succombé, un instant. Toute mon existence se résumait dans une pépite de lumière, dans une alvéole miraculeuse d’où je voyais mon corps à distance. Je n’étais plus propriétaire de rien. Mon esprit flirtait avec le vide qui l’empoignait pour mieux l’embrasser.    

Il faut le sursaut du cœur pour s’extirper des méandres. Partir sans laisser d’adresse est une sensation d’exil outrepassant mes capacités d’existence. Je ne saurais pas vraiment dire ce qui s’agitait en moi, à ce moment là. Mais, un désir plus fort, plus copieux, me fît déserter cet antre de joie gratuite. La mort dont je me souviens, demeure une mère nourricière. Le noir total illustre la paix définitive.    

Ma vie creuse le langage. Elle se reconnaît dans l’expression. J’entends au fond de ma voix la résonance cruciale de la matière qui s’anime. Peut-être, même, ne suis-je que cela. Pour avoir sondé abondamment le creuset du néant, je sais qu’il n’existe vraiment rien d’autre d’aussi vivant que la petite voix intérieure. Elle ne nous quitte jamais, pas même dans le sommeil, qu’il soit d’apparence ou vital. Lorsque je dis un mot, je le puise à la source initiale, au fondement de l’air qui me traverse. Je le filtre, l’essore s’il le faut, mais je fais corps avec lui. A tel point, que je ne sais plus si c’est lui qui est le maître des fusions qui me traversent ou bien ma réflexion.

A chaque naufrage, j’ai reconnu dans l’idée que je me faisais de moi, l’insolence qu’il y a dans le désir de possession. Je crois que l’on ne s’appartient pas, que l’on profite de la reconnaissance des autres pour affirmer une fausse vérité. Tout juste si l’on est en mesure d’accorder notre pensée avec nos actes. Bien sûr, je ne veux pas dire que nous sommes des êtres sauvages ralliés au monde par notre seul instinct. Mais, je lui reconnais plus de puissance qu’il semble en avoir. Je ne vois du monde qu’une infime partie de ce qu’il peut prétendre me montrer. J’y vois, surtout, ce qui provoque mon intérêt.   

L’œil sous le chapeau, je m’en vais promener dans la terre chaude. Ici, les mots sont partout vaseux. Plus qu’une synthèse, ils ouvrent la voie vers la terre qui colle à mes souliers. Ensuite déchaussés, ils s’envolent vers le regard que chacun veut bien leur consentir. Donner une mesure d’importance me semble être le témoignage de la raison et non celle du rêve complice qui pourrait tarauder la déconvenue de soi aux regards insipides. Je n’écris pas pour écrire, je lessive les torpeurs rugueuses qui me démantibulent. Quelque chose s’épure qui n’est pas moi.

 

 

Extrait de : La main dans le panier. - Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
I
Je te répondrai Bruno que j'en ai conscience et que cela ne garantit rien en effet.<br /> <br /> Je ne peux pas t'aider. Tu ne peux pas m'aider.<br /> <br /> Nous pouvons nous écrire, nous parler, ça nous pouvons le faire. C'est déjà un début.
A
Toujours du plaisir à te lire même si j'ai des problèmes avec mes yeux. Amitiés.
I
Ce que je ressens n'a de répondant chez personne d'autre que moi.<br /> <br /> Même lorsque je compatis sincèrement, je mens.
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