Un simple dé que l’on jette.
Toute la vie est une course poursuite de nos élans et de nos actes. Et si la mort ne venait pas mettre un terme à nos amertumes d’être, à nos excroissances délictueuses, l’existence serait un cadeau empoisonné, une parodie de la souffrance, des blessures sans espoirs.
C’est à la fascination de l’impossible que nous devons les forages les plus inhabitables. L’utopie est la nécessité ultime de tout raisonnement, de tous les lieux improvisés, de toutes les aires fécondes. Elle déroge à la condescendance des courtoisies morales. L’illusion fantasque dessine devant nous la part ensevelie de nos demeures provisoires et de nos surenchères.
Depuis cet électrique mirage que nous appelons coma, ma perception semble différente. Cette prostration connue à la suite de mon accident m’a conduit au-delà des chemins frayés à l’usure du quotidien, des actes et des mouvances. Depuis, la vie s’irrigue par bribes, par petits morceaux de souvenirs, par mot de passe.
Te souviens-tu de cette nuit éclairée où je t’ai rencontrée et où je t’ai parlé ? J’étais inanimé et tu étais vivante comme une icône à laquelle on aurait donné des ailes. Te souviens-tu de la limpidité de nos regards lorsque nous nous sentions légers et totalement voués au seul immédiat de l’existence ? Nous étions dans la semoule de l’intemporel. L’ampleur des pistes au seuil de l’espace fustigeait nos petites chapelles. Plus rien n’était arraisonné à une quelconque histoire. Le temps se résumait à un simple dé que l’on jette sur le tapis vert des promesses avortées. Nous étions là sans y être vraiment. Et, ton regard était une route de pierres, le chemin d’une soif que l’on promet aux marcheurs. Tout semblait être une vérité en communion.
Mais on s’est croisés. On s’est vu et on a bavardé.
- Je pars cette nuit...
- Oui, je sais.
- On te l'a dit ?
- Non, mais la Terre s'est arrêtée.
- Je t'écrirai.
- Oui, je sais. -
Tu m'écriras aussi ?
- Je te répondrai toujours...
- Bruno Odile - Tous droits réservés ©