Ici ou ailleurs.

La vie nous a offert le voyage des chairs accompagnées par le toucher des âmes. Que deviendras-tu au moment précis où je serai mort ? La lumière est appâtée comme une mouche par un fruit mûr. Mon autonomie gâchée par les ans, il ne reste que le mur et la patère. Le mur restera enduit par la cruauté des vents qui l’ont balayé. Troué par l’ennui d’être un mur. Creusé de ci de là par le silence sûr de sa brisure. La patère vide et les mains du courage blâmeront l’incendie ancien.

On se souvient de l’herbe fraîche où la rosée s’est posée, on se souvient des moments rieurs et des fous rires qui déboulonnaient nos ventres comme on défait le cadre d’une porte. Fou rire, cet artilleur de l’éclat qui emporte, ce mouvement jaillissant du creux de la dent que l’on a mis sous l’oreiller dans l’attente que la petite souris vienne la prendre.

Et puis la vie, cette poignée d’air que l’on a dispersée un peu partout dans des lieux sans mémoire. Ce repli d’actes, cette rétractation obligée, ce corps appelé à la raison. Et nos mots laissant l’abîme dehors. Notre respiration oubliée dans la respiration. Nos mains dans le sable creusant un ruisseau, nos cœurs superposés oubliant ce qui les sépare. 

Nous sommes là, dans le vent encore… avec deux doigts d’ironie et des cris inaudibles. Nous sommes cette pincée d’émotion dépoussiérée, cette larme reconquise à la mer. Mais l’entaille est déjà faite. Alors, on se retrouve comme on s’est quitté ; on se quitte comme on se retrouve. Le cœur n’y est plus, un murmure d’eau le remplace. Tu es une coulée fraîche et tu dégoulines dans la rivière du souvenir.

Le temps s’accueille comme un cadeau. Chaque choix est un couperet pour les centaines d’autres qui auraient pu fleurir dans nos cœurs. Ici ou ailleurs, c’est toujours en soi l’apaisement et la tornade. Le Rhône emporte les vieux troncs déchirés, la Camargue boit toujours aux pattes des flamands roses qui s’envolent colorer le ciel. 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©