Je te sens vivre dans ma peau.
Mes paroles sont des fentes, mes mots sont des trous. Te parler déchire le ventre de toutes les expressions, de toutes les codifications utilisées pour mordre à ta poussière. J’ai un vide planté en pleine poitrine. Un vide archaïque et séculaire, d’un cérémonial antédiluvien, d’une averse viscérale, d’un limon incontournable. Un vide démoissonné de temps, décapité de venin, une plaie gonflée d’orties imaginaires et de rêves crapotés en des cimetières bafoués. Je te sens vivre dans ma peau. Et je te cède à ma vie, déliée de mémoire outragée, dépouillée de chair profanée. L’intuition, dans sa tombe, s’installe dans une vaste lande de solitude et de dénuement où l’abandon geint son égarement et sa tourmente.
La mort entame sa marche glorieuse à côté de la vie. Ensemble, elles s’annoncent unifiées dans une transformation permanente et une mutation incessante. Nous nous accouplons cependant, toujours et encore, dans le déchirement de nos voix hurlantes, dans l’hémorragie de nos révoltes douces. Car, tout en ce monde s’ouvre à la rébellion créatrice. Nous sommes des grappes de raisins appréciant la caresse du soleil. Tout ce qui demeure se récolte à l’intérieur de nos vignes.
Nous sommes, sans doute, le fruit d’un néant flottant, de fragments d’étincelles, de hardes de temps immolées à perte de vue, à perte de sens. Chacun de nos artifices sont dépecés comme des atomes nus, décapuchonnés de nos appréciations métaphysiques. Toutes nos pensées sont démunies de rôles et de tâches précises. Nous sommes borgnes de nos ravins, hissés aux flots des vents et des souffles comme des étendards de la matière gazeuse primitive. Nous sommes des tourmentes livrées à nos peurs inguérissables et incontrôlables. Des craintes pures fourmillant dans un tourbillon d’éléments étrangers à toutes causes. Nous spéculons le réel à l’économie de nos besoins. Blottis entre les crevasses bosselées des cancers de l’univers, nous sommes aussi liquides qu’une respiration abyssale.
La mort serait-elle une outrance indélébile, une excroissance du vide ? N’arrivons-nous pas de cette première nuit saturée d’immaculé et d’audaces vierges où le feu a surgi du chaos, de ce lieu où la création s’invente elle-même ?
- Bruno Odile - Tous droits réservés ©