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LA COLLINE AUX CIGALES
1 juin 2012

Les mots font trop de bruit.

49845799nue_retenue_jpgTes lèvres entrouvertes ressemblent à des chemins qui tintent. Au-delà de ton épaule, la montagne. Nos bouches s’inclinent sur le sentier qui grimpe. Elles roulent dans la cascade qui descend pour rejoindre les mots ensorcelés dans les pierres.

L’eau ramifie les désordres et se détache de la boue. La vase reçoit des bouquets de lumière. L’air qui porte les voix danse au-dessus des poussières. Quelques cendres oubliées bordent nos yeux avant de s’illuminer comme un feu d’artifice, et nous mangeons l’éclair qui tombe sur nos poitrines.

Sur la plage des heures mortes nos corps sont dépliés comme des draps de poussière. Ils brûlent la conscience appauvrie de ses surenchères à prétendre toujours davantage. Nos bouches vides se sont défaites des paroles sans jus. Au loin, un corbeau caché dans les feuillages du temps ouvre ses ailes noires avant d’allumer le soleil. Nous glissons sur les horloges devenues des plates-formes à la matière. Les heures sont de la neige bleue. Ce qui brûle nous désavoue et rejoint la rivière anonyme. Dans notre sang les cendres meurent de n’avoir su nous reconduire au cœur des flammes initiatrices.

Et toute la durée s’affaisse comme une charge de boue s’apprête à l’effondrement. C’est l’amour qui meurt de faim. C’est la joie qui se révolte. Les mots reviennent sur la blancheur d’une feuille, et ils déciment la montagne d’ombres.

L’écorchure a atteint le papier. J’entends battre ton cœur sur le quai de la gare où tu m’attends. Tu flottes comme un chagrin à la recherche d’un câlin réconfortant. Les trains se succèdent dans l’ombre haletante, des bras et des jambes, un corps, un vertige, une matière assemblée et agile. Je ne peux te toucher.

Un jeu de dés raffermit l’heure molle. Disparue aux yeux, envolée. Une lumière ternie se cueille muette. Au sommet de la route, je vois mieux le croisement. Haillons de tonnerre sur la pente que le corps ne peut pas suivre.

Les mots font trop de bruit. Trop de fracas de feuilles dans l’écriture. Je peins le bruit aux couleurs de mon souffle. Mille étages de couleurs s’effondrent en avançant.

Et, si nous allions voir la lame qui découpe nos visages ?

Tu n’es plus là, l’évidence est morte avec toi. Rien ne tient plus dans le corset des vers qui grouillent dans le casier trop étroit de la terre. Là-bas, dans l’étang suspendu sous l’ardoise des verbes, le cri est une boule d’écume qui meurt à mes pieds.

Disparates, les échos nus clament ce qui se réverbère sur l’ardoise.

Une mue insidieuse broie la craie qui t’écrit.

Je ne te vois que là où tu n’es plus. Mais cela suffit au vacarme.

Ma tête est dans la tienne. Ton baiser sur ma joue. Tes éclats sont couchés sur mes ombres.

Un abat-jour filtre la pensée qui s’allume.

Un frisson s’arrache à mon ventre. L’appel est un tapis invisible que je bats au dessus de la respiration. Le vide est plein d’armoires à étoiles. Ce qui brille ressemble à tes yeux.

Je te parle dans la volée d’illusions frénétiques où geint le silence comme une pierre frappe la tôle de cristal qui nous sépare. L’air se brise sur la cornée de la matière arrachée à nos mains, la poussière ensevelit l’espace qui nous engloutit. 

Puis, le silence se redresse. Il se répète dans le noir bouillon d’une opaline. Une ligne rectiligne se brouille avec les traits de la mémoire. J’essaie d’apprivoiser l’heure qui remue comme drap étendu.

Le vent est une amarre pour les copeaux de lumière.

Je me tiens aussi proche que possible, mais le souvenir déborde mes quais. L’éclaboussure est une gifle. Je te retrouve sur la digue. Nos mers sont devenues des nuées de corbeaux affamés.

La nuit réforme la substance du jour qui n’a pas dévoilé l’immobilité. Mort, je continuerai à me répandre comme une lame d’eau qui a rompu les digues du silence. Je transgresserai les frontières de l’oubli.

J’égorge toutes les agonies, sourdes, aveugles, muettes. Je romps avec le sens qui est pensé.

Le soleil nous a blessés et nous sommes déchirés par l’abus de clarté. Le jour est un organe sensible. Un violon claque ses cordes dans nos poumons. Je te regarde à vif. La brûlure n’en est que plus saisissante. Elle célèbre l’inconnu où s’uniformisent la beauté et la douleur.

Nos lèvres sont façonnées par la luminosité qui nous étrille. Nos voix sont debout comme la larme rampante de nos yeux. Une averse printanière soudaine inonde notre respiration. C’est l’allaitement incongru du sang aux pies de l’existence. Du sucre et du lait s’évanouissent dans l’air.

J’ai peur de penser. Peur de mes démons, peur de ces absolus que la nécessité voudrait régie par la douleur abusive. Je redoute tant de découvrir en moi le désastre de mes origines d’homme et les empreintes répandues à l’apparat du vide. Peur, aussi, dans cette entreprise folle de sauver et de justifier sa vie, pour n’être finalement que le comédien tragique d’une réalité tout autant désespérante qu’elle semble une aventure méprisante de ce que je suis.

De ma voix, entends-tu donc les tremblements qui me font chanceler et m’ébrouer comme un linge épaissi de crasses indélébiles ? Je m’isole dans le temps interminable et bref d’un cri.

Bah, si tu veux bien, nous irons chercher dans l’absence tout ce que nous ne possédons pas dans le songe.

La voix manque. Le visage des mots se rétracte. De longs plis séchés figent leurs graines et les empêchent d’éclore. Le moindre geste raconte l’ombre dans ses pourparlers avec la lumière. Une lueur fine s’étale comme une pâte blanche dont on voudrait faire une galette sucrée. Dans le noir du ciel, l’étincelle d’une étoile décharge sa provision de soleil. Ainsi, l’absence se charge de désirs.

Ma parole n’offre pas exactement ce que je voudrais te dire et tu n’entends pas vraiment ses opalescences. Mais nos râles inconsistants témoignent des prisons aux larges grilles qui séparent la terre des vivants aux lieux indéfinissables où chutent les morts. 

L’autre jour, une fois encore, ton prénom a jailli de moi. Tu viens souvent comme cela, à l’improviste. Ton absence est un état provisoire, une promenade longeant ma solitude. Derrière moi le verbe se resserre. Mon cœur s’étire au fil des ans. Il crépite dans la constance. Longtemps je me suis tenu devant la feuille blanche. Longtemps, je nous ai recréés dans l’émotion sans éprouver le besoin d’écrire. La chute des mots n’est venue qu’après l’étourdissement. La chute dans mon cœur s’abîme dans l’eau du miroir où tu n’es plus. Je suis devant toi comme une herbe que l’on arrache. Je suis fauché par la lune noire et ma chair a besoin que tu la rejoignes. J’ai besoin que tu m’enlèves, que tu me hisses comme une voile en dehors de la tempête. 

L’absence n’est pas toujours une poisse irrémédiable. Je t’y retrouve perceptible comme un sanglot d’amour, comme une fleur épanouie à la surface du rêve.

Dans le refuge de la pensée, nos sentiments muets provoquent l’ardeur de nos silences comme pour convoquer l’étranger qui nous habite. Ce voyageur inconnu brassant des aspirations miraculeuses et des dictats d’absolu. Mais ici, le silence est l’ouvrier de la contrainte, l’artisan pêcheur remaillant ses filets percés. J’ai cette impression plutôt acide qu’il faut cesser de se parler pour s’entendre, qu’il faut céder à l’abnégation et qu’aucun témoignage ne peut véritablement atteindre l’épreuve qui nous a séparés.

Poignées de mots en construction que l’on déverse dans le fleuve des discours improvisés, des tirades en prose recrachée de la salive. Le goût de la perte me maintient nu, debout sur l’échafaud d’un désir inassouvi. Que peut-il y avoir de bon à dire ? Faut-il reprendre le bâton de nos promenades anciennes ? La vie est une course éreintante. Elle persiste à projeter, elle s’impose et soude les pas. La marche est continue. Dans l’immobilité, le noir est du charbon, gras et insaturé. Des odeurs nauséabondes suintent ce que nous n’avons pas su brûler. Et, je sèche comme un mendiant sur le bord d’une route perdue.

Enfants, nous avions des rêves surgissant de nos immédiats refoulés. Des images complices pêchées dans les nuages devenus les refuges auxquels nous confiions nos gourmandises.

Le temps travaillait sans entrave. L’immédiat était un horizon qui n’avait pas de taille. L’instant volait une caresse et une douceur fragile annonçait l’aube.

Nous n’avons encore rien vu. Nous n’avons pas osé défier la turbulence. Nous n’avons pas encore franchi le sable où jadis nous bravions sans complexe le bavardage du destin.

Traduire nos sens par le langage revient à se soumettre à sa pauvreté, à son irrémédiable indigence, à sa pénurie de mots pour dire le nécessaire et le superflu.

C’est bien à mon insu que je me suis retrouvé dans la position de celui qui doit traduire le silence dormant dans cet après toi. Chaque verbe est inerte avant même d’exister, je redéfinis ma vie non plus comme l’objet d’une lutte permanente : lutter pour le bonheur, lutter pour la récompense, lutter pour toucher ce qui se mérite ; je vis désormais à bout de bras le destin qui froisse et dévie mon chemin. Je célèbre inlassablement l’émotion envoûtante prononcée dans la métaphore. C’est elle qui matérialise le sensuel, c’est elle qui renouvelle les gestes suppliants qui s’agenouillent en moi.

Partout, l’ombre est libre de s’étirer. Mais, dans l’œil de Caïn, la forme désespérée de la vision boit à l’horizon comme une flamme s’épure.

Tu es l’invisible rage où baille le mouvement. Tu es l’étincelle dans l’éclair, tu es l’onde légère qui accompagne le ruisseau de mon cœur où se dessine ton visage à mille reliefs et à mille refrains. Ta voix danse les déguisements dont nous nous affublons.

La parole ne dit rien des émotions tapissant mon cœur, où si peu. Elle s’invente sans relâche pour semer des graines d’espérance dans le corps des raisons. Là où germine l’inconscience des laves qui figent et nos fruits et nos cueillettes. Nous ne sommes pas faits l’un pour l’autre, nous sommes l’un dans l’autre à la découverte d’un espace non franchi où se retrouvent nos balbutiements cherchant à se guérir d’une plaie à jamais béante. L’amour et le mot coexistent dans une tourmente où se rassemblent nos langueurs et nos faiblesses. Elles gravitent ensuite dans une forme d’insignifiance propre à nous déshériter, dans une figure géométrique dont on a perdu la formule et dont le temps accomplit doucement sa déformation.

Nous voilà délogés de nos fondations sonores où se dépècent nos sources dans le miroir d’une langue. Le verbe y est ronflant, mais il n’a plus d’autorité.

La nuit et le jour se parachèvent mutuellement pour laisser supposer au rythme du temps que c’est lui qui donne le tempo. Or, nos tressaillements jazzent comme des lilliputiens qu’aucune loupe ne saurait mettre à nu. Notre danse est le flottement de la perspective de l’indéfectible renoncement. Car, il nous faut abdiquer si nous désirons offrir le miel de nos haleines. Il nous faut capituler à la grandeur qui nous élève hors de nous comme un végétal à la poursuite du soleil. Des cils poussent sur le regard du monde et nos yeux épousent l’invisible.

 

 

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Commentaires
S
Pour ma part, j'adore le bruit de tes mots.
J
Quel coffre !
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