Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LA COLLINE AUX CIGALES
31 décembre 2011

Même nus, nous sommes.

cyclopeLa vie éclabousse tous les matins de plumes. La lourdeur décroît à la lumière. Des herbiers de paysages vides deviennent d’énormes touffes sombres. Le combat de jour équilibre à peine la lune dans son halo phosphorescent. Le combat est vain pour aboutir ailleurs mais il contribue à la conscience calme, à l’apaisement des stances exécutoires.

Derrière les ballots de foin, des enfants soufflent sur la réalité. Le vent tire sur les poulies. La chronologie et le temps s’épousent un instant. Un court instant où le niveau des mers contribue à l’équilibre des terres. Le niveau droit sur l’horizon. La bulle placée au milieu attend sa fuite comme un réservoir de trop-plein, comme un sac de ténèbres percé. La morsure de la nuit s’y désenclave sans que personne ne le sache.

Et puis, tout dégringole. Tout se dévoie. L’enfance s’empêche de grandir. Des têtes se hissent dans les scaphandres aux nébuleuses déchues, mais pas aussi vite que tombe l’autonome. Pas aussi sourdement que tombe la plaque froide de l’échafaud. C’est la forme du Non qui gélifie la négation. Un couteau de vide crève l’abcès de l’absence.

Dans la discrétion, l’heure plie l’univers sans air dans un mouchoir. Quelques étoiles pas encore mûres lâchent leurs scintillements mièvres. Le ciel n’est plus ce qu’il était. Tout avance sans que rien ne bouge. Le mouvement n’échappe pas à la fracture, une lame noire effleure sa coquille.

Le spectacle des ombres jetées sur le mur accidenté reflète mal les parfums harponnés dans nos ventres. Toutes les paroles s’engouffrent dans une brume épaisse. Beaucoup se perdent. Nos lèvres noircies ressemblent à du charbon. Et nos voix intrépides ne jaillissent plus que là où le noir diffuse ses leçons de clarté. Nous marchons dans une brousse dense, nos cœurs en avant. Nos montres n’ont plus d’heures, nous sommes extérieurs à toutes choses. Dans nos frissons, le temps déjante comme un pneu crevé.

Les racines de l’air ont la dent dure lorsqu’il s’agit de venter le désordre des sentiments. Qui de nous deux est le plus exposé à cette feinte de l’existence ? Nous pétillons dans la chambre parfumée de l’absence. L’oubli fait grand bruit dans le noyau de l’olive que je ramasse au bout du jour. L’émotion a pris place dans un caillou. Il fait un temps de chiffon et la rouille s’amasse en un lieu secret comme le silence qui suit un éboulis de pierre.

Des siècles de franchises et de fécondité s’auto-flagellent dans mes veines. Le risque et l’aventure s’abolissent dans la redondance du quotidien. Oser se dérobe à la colère mauvaise, aux ires essoufflantes, aux courroux oppressés. Il ne me reste qu’un corps à mûrir de paroles. Qu’un cœur à remplir de fables novatrices. Qu’une conscience à instruire des collines de pins où mûrissent la joie et l’allégresse des cigales lorsqu’elles chantent l’ivresse du monde.

Une vie ne peut pas être entièrement repue sans qu’on lui accorde la bonté de sa déviance. Sans l’accord majeur qu’il y a s'écarter d'un principe, d'une règle. Sans la délivrance des heures mornes, sans le détergent que lui offre la pulsion de l’instinct. Des chevaux sauvages galopent sur la plage de nos îles de mémoire ancienne. 

La soumission à la dissolution est terrible. Se départir et concéder… Voilà l’auréole du cri spectral, voilà la brisure invisible où s’achève une part de soi. Cet éparpillement suivant la césure caverneuse m’a demandé maintes nuits cabossées, maintes nausées existentielles, avant que je puisse relier à nouveau mon langage à ta pensée.

Désormais ce qui crie en moi pulvérise la cacophonie de cet émiettement. A présent, ta disparition n’est plus cette dépersonnalisation atomique ressentie jusqu’à lors. Tu as retrouvé toute ta place dans la cohésion de mes gènes. Je ne t’en veux plus de ce que je suis. Au contraire, tu cours avec moi dans l’espace infini de l’éblouissement. Ta mort est utile à mon silence. Plus rien n’altère le partage. La vie déborde sous nos paupières. Par toi je deviens. Par toi, je comble mes souliers de la terre perdue. Nous n’avons plus besoin de la poussière de la nuit pour grimer nos visages. Nos chemins se maintiennent par-delà l’exigu des ténèbres dans une parole nue.

Tu marches sur les talons de nos langues. Des chaumes éventés récoltent la poussière solaire. Le temps dans un tête-à-tête où tout bascule discute par-dessus la rambarde du métronome. Tous les adieux tranchent le vent, découpent l’air et arrachent le souffle aux voix qui s’éternisent. Ton rire s’expose à la rougeur du ciel qui vieillit. Tes mains s’alignent hors de l’ennui que ton volume de chair complète. Des courbes auréolées pigmentent les angles droits devenus des coins trop étroits pour la mémoire. Un trait puis un autre. Des milliers de traits se chevauchent et s’interfèrent dans le plein milieu de notre cercle. Nos cœurs greffés l’un à l’autre s’étourdissent. Les rideaux sont tirés et la lumière est sur pause. Une épuisette laisse filer du bleu et du jaune. Mais il s’agit bien de cette ripaille d’opulence flétrie que j’ai vu vibrer dehors, au petit matin. Il s’agit bien de ce festin d’émotions qui se déroule à l’aube, lorsque l’Angélus résonne d’un bruit d’aile comme celui de l’oiseau quittant son nid.

Et puis, un « laissez-moi » qui se lamente. Un « laissez-moi » grincheux. Une coupe vide, un ciseau oxydé. Un balcon où chantent des perruches. Des livres aux pages brûlées.

Il faut laisser le poids de la mer s’en retourner à l’épicentre du toit du monde. La nuit renvoie le soleil. Le soleil renvoie la nuit. Ici, le silence gémit et revient en boucle comme un refrain. Lâchez ma main, la porte s’ouvre et une pie espiègle s’envole.

Toute une puissance enfermée dans une détermination, tout un amour clavé sur l’appentis des ombres. Regarde avec moi :

C’est l’heure de la catapulte, c’est l’heure de l’invasion, c’est l’heure de la naissance qui se meurt pour donner vie à une autre vie, à une autre identité, à un autre leurre.

Il ne s’agit en rien de contrôler… Il s’agit de prendre possession de notre cœur et de l’habiter pleinement. Nos consciences en berne, nous avons trop longuement vécu à la lisière de nos attentes. Nous avons composé d’innombrables bouquets de fleurs mortes sur la table de chevet. A force de suspendre nos âmes aux étoiles et de sucer nos mémoires comme des berlingots à la menthe nous nous sommes affaiblis des beautés partagées. Il nous faut impérativement retrouver le site vierge où l’existence peut exploiter sa décadence, c’est-à-dire où elle peut s’extirper d’elle-même pour s’offrir à l’onction sacrée de sa nature et enfin se réaliser. Cette outrance à nous chercher à tâtons n’a fait que nous reléguer dans l’arrière boutique de ce que nous pouvons être. Il faut cesser de ronger l’os par l’amertume, le ressentiment, la haine et les préjugés de toutes sortes.

Je n’ai nulle leçon à donner. Je n’ai nulle recette à prédire. Aucune licence n’ordonne le monde. L’amour est une rayonnante conception de l’esprit des hommes. Empiriquement et socialement inculqué. Celui là même qui nous désoriente tous et nous brise de nos propres natures.

Je ne peux supposer le sentiment amoureux autrement qu’enthousiaste, fidèle et constructif. 

Toute tentative de lumière emprunte la route du feu. Le hasard se déceinture lorsqu’il s’agit d’ordonner en soi des lieux de providence. La voix n’écoute pas le ventre qui l’a secoue. La parole se tresse en lianes de cristal derrière la vitre translucide que le verre rend aphone.
Rien ne se résout spontanément d’un seul baiser. Il faut attendre l’heure désengorgée, l’heure suppliante, l’heure désucrée du silence pur pour que les lèvres du temps s’accommode de la blessure qui a tranché nos bouches.

Le recommencement honore le temps. Le désencombrement vient d’ailleurs que de nous-mêmes. La viduité s’élabore sans soi. Nous restons ce présent construit par la tourmente. Nous demeurons sans fatigue dans le lasso des ombres. Nous apprenons à nous reformuler au sein même de l’émotion qui était un temps le ventilateur de nos suées, et qui maintenant est devenu l’escorte brouillonne de nos fardeaux anciens. Nous nous succédons à nous-mêmes dans l’ouvrage de nos acceptations. Dans la profondeur de nos humilités. Dans le désencombrement et le déconditionnement.

L’amour demeure l’accompagnement providentiel des solitudes égorgées au fond de nos êtres. Il est cette main tendue vers l’apaisement des foudres qui nous remuent sans rompre. Parce qu’il n’y a rien de plus égoïste que d’aimer : on n’aime jamais que pour soi. On ne prétend qu’à grandir du sentiment qui nous reflète. On désire se mesurer à l’incompétence que nous avons à vivre l’autre comme une priorité, comme un préalable à notre propre besoin. Et l’on s’oublie dans notre course. Et l’on oublie que l’autre est de même nature, qu’il nous est similaire de cette faiblesse endémique.

Comme l’air nous n’avons pas nécessairement la même cadence, le même rythme. Nous ne nous incrustons pas dans les mêmes poumons, ni pour les mêmes raisons. Partager un sentiment ne veut pas dire ressentir avec exactitude les mêmes sensations. L’exactitude n’existe pas. Il s’agit bien d’engager une confiance mutuelle pour se dépêtrer chacun de sa propre mélasse. Et, le sentiment est la couverture de ce projet pour qu’il ne prenne pas froid.

Se déposséder, c’est mettre un terme à la vie lissée, à l’expérience retors. Même nus, nous sommes. Même remplis de concepts humanitaires, de sagesse et d’altruisme, notre altérité et notre ipséité demeurent le fondement du monde tel que nous le percevons et le vivons.

L’exercice du partage nous électrise par l’intensité que nous lui accordons. Nous souhaitions tellement nous délivrer de nos candeurs étoilées ficelées dans nos ventres. Nous espérions si ardemment accoster la ferveur amoureuse comme on accède à la délivrance de la pureté que nous avons fait feu de tout bois. Encore aujourd’hui, nous voulons nous offrir vierge de toute humanité, un peu comme une végétation printanière envahit un ruisseau. Un peu comme un chantier toujours renouvelé, nous recherchons dans la sérénité de l’autre la paix que nous n’avons pas, le sourire perdu, l’amour qui nous manque, et la respiration d’un monde oublié.

Et, en toute chose, ce n’est pas la seringue qui m’intéresse mais ce qu’elle contient !

Ce qui demeure inobjectif dans la pensée, c’est sans doute l’impertinence et la crânerie à prétendre baptiser le monde humain à partir de son seul berceau. C’est l’entêtement que nous avons à vouloir conjurer le sort au profit d’une idée rémanente. C’est toute la vigueur que nous déployons afin de la légitimer malgré le réel rustre, cruel et arrogant. Malgré l’infortune incessante des dérives de nos faiblesses. 

Le moment favorable, la parole appropriée, la vie artisane, tout cela s’ajuste à l’œuvre du temps. Le rôle que nous nous attribuons reste confiné derrière le masque que nous croyons protecteur. Et lorsque la raison domine, il nous semble alors que nos apparences se justifient, que nous dominons et maîtrisons nos rêves et nos fantasmes. C’est pour cela qu’il nous faut rebaptiser l’utopie et ressusciter les contes de fée poussiéreux que nos enfances n’avaient pu dévoiler à nos innocences fébriles.

Une fuite d’air entre mes doigts, tout s’enfuit ailleurs. L’air s’étrille et se dispute avec la teinte pastel restée en demi fond sur l’horizon. Je ne touche plus la craie de la parole, tes mains sont agrippées à la falaise. Encore plus loin, très loin, une éolienne grince dans le noir. 

Il y a décidemment trop d’excès de vérité dans cette peuplade d’encéphales habitée par les hommes. Toutes les croyances nous enchevêtrent inexorablement à la folie destructrice de la dérision et du cynisme. Aucune pensée ne guérit seule dans le brouillard des idées. Nous sommes blottis dans l’univers comme deux serviettes épongent les débordements. Nos cœurs ne supportent plus la minerve. La censure de l’éloignement décuivre nos veines et la forge crache ses souffles brûlants sur nos visages statufiés.

 

Publicité
Commentaires
B
Merci Maria. Que tous les matins du monde (sic) nous emportent… au-delà de l’amour dans la vérité qui brûle.
M
"La vie éclabousse tous les matins de plumes."<br /> <br /> merci pour ce texte sublime<br /> <br /> que votre vie soit éclaboussée de bonheur tous les matins de 2012
LA COLLINE AUX CIGALES
  • Dépotoir et déposoir de mots, de pensées... Ici repose mon inspiration et mon imaginaire ; une sorte de maïeutique effrénée et dubitative et il me plait de pouvoir partager à qui veut bien.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 207 340
LA COLLINE AUX CIGALES
Publicité