La nuit refuse de grandir.
Fraîcheur dans tes yeux. Le sucre n’a plus le même goût. Le soleil n’a plus la même couleur. Une aube solitaire s’en va en fumée dans le lointain. Une rengaine sanctifiée coule de nos fronts, une fumée blanche s’élève de ta silhouette et nos langues courageuses partagent l’enfance du monde qui arrive ou qui revient.
Lorsque l’heure s’enfle comme une bouée sur la mer, le passé s’efface et il ne reste que nos cœurs à bronzer sur cette plage dépeuplée d’appréhensions.
Un vent léger caresse le désir et nos ombres jouent avec les lucioles phosphorescentes qui effarouchent nos pensées. Ta peau est une nappe perforée de souffles où s’égrène doucement la volupté, et nos ferveurs réciproques se coudoient puis s’immergent dans le vase sibyllin de nos émotions de cristal.
Quelquefois, des heures durant, je baigne et je m’imprègne au plus possible de tous les sucs de la mémoire. Je me laisse porter par la manne d’images, de sons séraphiques et d’odeurs sucrées, en essayant de les habiter à nouveau. Mais rien ne se produit. Alors qu’à d’autres moments, cela m’emporte avec violence et véhémence, sans que je puisse me retenir. Même le souvenir est immaîtrisable. Il jaillit avec le hasard des humeurs et des événements. Il trouble l’apparence du calme. Il tâche la membrane transparente de l’immédiat.
Les secondes inversées retombent sur leurs pieds. La nuit refuse de grandir. Elle baille comme une lézarde fatiguée. Parfois, rancoeurs et déboires flottent dans l’amnésie. Le cœur s’éternise à conserver précieusement dans ses stries, le meilleur qui naguère l’a soulevé d’un emporte-pièce mélodieux. Mais, un mutisme consenti crache sa bave édulcorée qui finit par obstruer tout orifice, toute issue.
La peine devient alors un partage. Même la douleur ouvre à nos essences forestières des baies larges et profondes aux liens de pailles. Plus prés du temps, les oreilles bourdonnent, le corps se délie, la vie crisse comme une cigale à la belle saison. Puis la perte se gonfle. Elle s’amplifie de la pourriture d’un corps qui a rejoint le noir intense qui suce les ombres. Une étoile de mer dans l’abysse marin danse une valse macabre. Drapée de vent sous la faucheuse, j’ai vu ton sourire. Tes yeux lubrifiés sous les eaux semblaient deux globules spongieux s’enfonçant dans la profondeur où s’enlisent tous les regards prisonniers du poids du monde. Partir n’est pas un remède, pas un soulagement, mais une fonte et une métamorphose. Nos squelettes redevenus poussière n’ôtent pas la figure restée vivante de l’amour qui la dessine. Les traits recouvrent une fausse délivrance. Derrière la ligne se cache des chaînes cadenassées, des monticules de javelots jamais utilisés, des superpositions de strates argileuses où d’anciens boucliers sont ensevelis. Bref, une éternité où s’est amoncelé le temps chapardé aux combats des cœurs déshérités. Mais il n’y a rien sous terre, il n’y a rien dans l’espace. Il n’y a que toi dans l’absence de ton nom. Il n’y a que toi suspendue à la gravité éphémère sous le couvercle de l’apesanteur. Et, tu pèses une vie. Et, tu pèses un amour.