La lumière ressaisit le jour.
Nos amours n’en sont pas, elles sont d’incalculables, d’indéfinissables latences. Elles cintrent le chaos dans son expression humaine. L’idée même, que je pourrais m’en faire, n’a aucune conscience de ce qui est ou doit être. Je suis un condensé d’apocalypse. Je suis l’exception que l’univers pressent. Je te vois et je te sens derrière la lueur inoculée dans les veines du jour.
N’a t’on pas plus à sauver par l’amour que par la maîtrise des raisons ? Ne sommes-nous pas des Cro-magnon de l’amour, des fossiles de l’Histoire, dignes de l’âge des glaces ? Ne sommes-nous pas un concours de circonstances, un consensus d’éphémères facultatifs, un refrain compulsif, une musique où les notes dansent avant même d’être jouées ?
Abstrait comme une vapeur d’alcool, le silence garda sa bouche muette. Un mot resta coincé entre les lèvres du jour qui n’est pas venu. Sur une déchirure de voix, l’arrachement file au cachot. Toi, comme une rampe. Toi, comme des marches pour descendre dans la crevasse.
Verrière brisée, givre tiède, eau décousue, regard décollé, tout en moi dit les mots du cœur pelé de son souffle. Tes traits désunis, rayés du monde, l’errance dans un lit de hasard. Plus loin, encore plus loin, un funambule danse comme un toupie rouge.
Toutes les morts valsent dans la souffrance abandonnée. Vertes coutures où les nuages s’engouffrent. L’inhabitable c’est le chemin sans maison. Mes yeux se ferment et ta porte s’ouvre. Une joie insomniaque se manifeste comme une encre vire au sec à chaque bouffée d’air.
Chaque accomplissement déroute le vague embrun resté dans l’intervalle. Je ne sais rien du pardon et de l’humilité requise pour se confier sans réserve à l’abandon illimité. J’ai perdu la liste de ceux qui sont partis dans ce voyage sans retour. Même toi, je ne saurai pas te conserver au-delà de moi-même.
Il n’y a pas de zones neutres dans l’escarcelle des aumônes du senti qui nous anime. Ma charrette est remplie de terre et de cendres mélangées comme tonifiée de tous, comme un engrais du vivre où germent en même temps et en même lieu les épousailles des étoiles et des terreaux fertiles.
La parole mûrie comme des liserons invisibles, le corps fait dos rond à l’absence qui subtilise la couleur de tes yeux, et sous chaque pierre le chemin de dureté compacte dans l’ombre fragile toute la lumière du monde.
J’entends l’éclair où je ne suis plus. Comme un chemin de fumigène dissimule la détresse. Comme un ciel de pétarades étouffant l’air, suffoquant l’herbe restée sur le coin de tes lèvres.
Le jour grimpe au mât des contraintes, et l’enfer du monde se noie dans son dégoût. Je n’irai plus à toi comme un déversoir d’orages émaciés, toutes les confitures de la terre s’étalent au couteau. Tu ne viendras plus à moi comme un désert a soif d’eau claire. Immergés sous nos cathédrales en talus de fumée, nous marcherons dans la blancheur des cris sans écho, à l’intérieur même de la blancheur.
Nous sommes concassés de prières devenues des poussières abruptes. Un pas de trop, et cela serait la chute.
Nous flirtons dans le bout de monde, non loin des tumultes du silence profond, et nous grappillons notre part retaillée d’achèvement à ce qui cesse. Nous devenons des blancheurs alignées sur le vertige des silences où se contemple l’audace des heures qui meurent et qui renaissent. Là où l’affrontement est une usure sans salive.
Nous sommes vaincus et nous coulons dans les saisons vierges où les fleurs deviennent fruits pour nourrir d’autres que nous-mêmes.
Tu as pénétré ma solitude comme farine se dilue à l’eau. Une horizontale debout, à nouveau. Un trait enfoncé dans la marge, à la bordure des jours dénivelés. Dehors, toutes les figures surgissantes resteront indistinctes. La parole détachée, mutante et muette. Puis, encore nous, dans l’entame sucrée des voix. Puis, l’ajour des mots dans l’opaque tiédeur intacte du premier jour, du premier geste. Notre silence repoussoir des chavirements. Un silence espacé de l’avancement et des mouvements de l’oubli.
Dans l'ébriété des cendres, une griffe insolente vient titiller la mansuétude avec la précision d’une couturière. Nous avons avalé puis ingurgité la réparation.
Soldats d’utopie en faction, immobiles comme les galons d’un général, on s’apprend de soi-même dans le froissé de la tonitruance de l’obscurité. La joie ne se cultive pas, elle surgit à l’improviste comme une lumière béate. J’aime te savoir dépossédée comme je le suis. Notre silence jointé, les mots peuvent mieux graviter sur sa corde. La mort a eu lieu. Nos chagrins sont désavoués. La mort se fabrique dans le terme échu. A contresens du cours des rêves. Nos vies s’entravent de l’urgence que le passé remonte de ses caves insalubres. Nos lacunes répondent par défaut à l’insistance de l’émotion imprimée à l’esprit. Le manque se traduit dans le dédoublement de la parole précipitée et le mutisme écartant ce qui sarcle la parole trop lourde.
Quand on admet que l’amour n’est pas qu’une liturgie fantastique, mais qu’il est aussi la passerelle qui nous permet de traverser les ravins, il n’y a plus de vide effrayant.
Dans les niches de la sélection aléatoire, dans la contrainte qu’est l’amour, et dans le désastre qui peut s’en suivre, le hasard s’est immiscé à l’enjeu que m’impose l’épanouissement. Le hasard bizarrement correspond toujours à la disponibilité que je lui accorde. Et, je postule à sa providence chaque fois que ma vie inquiète te souhaite comme un aveu nécessaire. Tu es ma déesse Fortune. Celle qui incarne le hasard subjectif et l’échec de la pensée.
Dans cette providence, l’enjeu se dévoue, tout entier, à l’intention.
Tu es ma nécessité aveugle. Tu me révèles à la vie dans sa non finalité, à la mort dans son inabouti. Au départ, de nouveau, par le truchement d’une parole détruite, les questions soudées aux réponses, la lumière ressaisit le jour et nous dénombre comme des milliers de grains de poussière que l’air avale, ne recrachant que des lueurs ouvragées, refaçonnées, ajourées.
Tu m’aides à me rapprocher de la faux coupeuse et moissonneuse comme lorsqu’en hiver j’ai froid et que je me tiens à côté de la cheminée. Je réalise ce que la providence articule en moi pour y faire naître ce que je suis.
Rien n’est écrit sur l’évidence de la nécessité. Rien n’est écrit comme une finalité. L’amour dans son hasard de merveilles subjugue et met en lumière l’immensité des espaces ignorés. Et, j’assume pleinement cet indéfini créateur. C’est à lui que je dois mon étonnement profond.
L’événement insensé c’est ce que l’on est.