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LA COLLINE AUX CIGALES
12 avril 2011

Cap de Bonnes Espérances.

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« Trois allumettes une à une allumées dans la nuit, La première pour voir ton visage tout entier, La seconde pour voir tes yeux, La dernière pour voir ta bouche, Et l'obscurité tout entière pour me rappeler tout cela, En te serrant dans mes bras. » Jacques Prévert. Paris at Night.

 

Peut-on cesser d’aimer qui on a aimé ? Trois allumettes… et puis, toi !

L’amour ne se renie pas. Il déclasse l’unité du monde en une multitude de formes et d’expressions variées. Subterfuge, il peut être superficiel, pervers, disgracieux et moribond.

L’envie grappille, le désir creuse ses trous. Nos corps rougissent comme des fruits mûrs. Nos peaux diffusent de la pensée désorganisée. La chair pense à reproduire l’immensité cachée dans ses fibres. Le secret de chacun, l’énigme de tout le monde, tout s’enfuit dans la peau morte, obligeant à recommencer le tissage mille fois encore. On se touche des yeux pour ne rien abîmer. La bonté est à portée de main. Un corps repu n’a besoin de rien. Il s’oublie, fait mine d’être mort. Il lui suffit d’affirmer sa présence. Il lui suffit d’être la coordination d’un tout. La lumière se tait dans le noir pour mieux se souvenir de son éclat. Le corps parle la puissance de sa jouissance pour mieux assouvir le trou noir qui l’absorbe. On vole à la nuit des baisers qui crépitent dur et l’on se réveille au petit jour, les yeux encore torchés d’éblouissements. Souvenirs d’un temps passé que l’on enfile sur la guirlande d’émotions. L’émerveillement, lui aussi, a ses failles.

    

L’amour filial n’est pourtant pas inéluctable. Rien ne lui prédit une concrétisation, une consécration, une souveraineté. Rien ne dit non plus le bien que tu me fais. Rien ne tait les battements de tambour qui résonnent derrière mes yeux. Hier encore ta voix s’emboîtait dans l’onde ruisselante où la musique s’apprend des mots. Et puis.

L’amour qui accepte et renonce, l’amour qui n’a plus besoin d’être aimé. L’amour plus dense que l’amour. L’amour qui danse sur les toits où les étoiles s’amusent à détuiler la toiture du bonheur sans craindre la pluie. L’amour envolé, perdu, malade. Malade de sa propre fièvre. Boiteux de sa perte. Aveugle de son enthousiasme et diminué, minoré de son corps tranché en moignons. Petites lamelles tranchantes restées accrochées au désir. Le corps se refuse à l’esprit et réciproquement.

 

Dire « je t’aime », est-ce dire une sensation ? Est-ce te dire un besoin, un état, un projet, un but, un programme ?

En frôlant ton cœur, je perds toute mémoire. Mes facultés intellectuelles s’amoindrissent, ma créativité augmente, ma perception du monde s’affine. La prière du cœur est une cathédrale sans mur. L’attente de l’autre en soi est autrement que physique. Des yeux perdus dans la nuit illuminent la solitude du black-out.

J’ai souvent entendu dire que la vie est le fruit de l’amour. Un fruit doux et sirupeux. Une pêche juteuse gonflée de soleil. Je pourrais en déduire facilement aujourd’hui que la mort est son aboutissement ultime. Une fin illimitée. Un paroxysme déculottant le réel de sa chair muette. Tout commence est s’arrête. Tout se termine et se concrétise à nouveau. Ce qui a été se prolonge à l’éclat des miroirs embués. Hier dicte son vocabulaire au futur. La conjugaison sulfureuse admet le conditionnel. Nous répondons à l’appel des sirènes cachées dans la nuit, et nous perdons nos visages pour d’autres empreintes. Tu es venue, je viendras, que nous allassions, … crève cœurs des temps inaccordables.   

La vie nous a donné. Elle nous a rapproché. Elle nous a offert. Elle a permis. Et puis, ta mort nous a uni, nous a scellée définitivement comme les pierres d’une pyramide. Nous sommes à présent le monument de nos décombres. L’hôtel de nos mémoires. Le lit de nos pourboires. Notre sommet est inatteignable. Une mer venue d’ailleurs envahie nos souterrains.

Et puis.        

L’autarcie en bataille, l’autonomie ébouriffée. L’indépendance fossilisée dans la pierre qui a traversé l’univers pour venir se scratcher dans nos déserts. L’attirance plus enflammée que le feu lui-même. Le génie de l’intuition inscrivant son désordre à l’intérieur de nos cellules. Je crois sentir l’inexpliqué du péril, je crois deviner l’écrasement du temps. L’heure est debout et nous sommes couchés comme tapis mille fois piétinés.  

 

Aimer doit-il être une tache à accomplir ? Se résume-t-il à un consentement. De soi. De l’autre ?

 

L’amour se déclare. L’amour se proclame. L’amour se déclame. Je ne suis pourtant pas cet Ugolin hurlant sur les hauteurs de Aubagne. Je n’ai rien d’un Roméo, ni d’un Julien Sorel. Je n’ai qu’une bouffée de tendresse nouée à ma poitrine comme une pierre que l’on s’accroche au cœur avant de le jeter à l’eau.

Est-ce les mots qui s’unissent d’abord ? Est-ce le mot Amour qui annonce un but à atteindre, une quête de cohésion introspective, une fusion de tous nos soupirs amalgamés ?

Faut-il nommer pour faire exister ?

L’amour croît dans les mots. Je crois en l’amour. C’est le mot qui indique le senti, qui formule le constat, qui réclame une réponse. Le mot appelle tes mots. Le mot a besoin de ton consentement. Une correspondance. Des va-et-vient incessant dans mon sang le font bouillir. Ta mort, c’est nôtre mort entortillonnée dans quelque chose qui n’existe pas mais qui prend toute la place. Nous sommes entremêlés d’incontournables couches de ouate. Je suis incapable de me délivrer sans ton assertion, sans ta participation, sans ton approbation.

Mais, tu ne parles plus. Plus vraiment. Alors par défaut je construis ta parole telle que j’aimerais l’entendre. L’amour impossible au lieu de devenir un supplice, une supposition muette, devient le surgissement de ma voix, devient la déclaration. Rien dans le monde où tu m’as laissé ne répond vraiment à l’exigence. Alors, je te ferais être une promesse, un mouvement à mes gestes, une parole à mon cœur. Juste un frêle bonheur. Juste une greffe fertile où le jour est une parole.

 

Je ne cherche pas à me convaincre à être heureux lorsque je ne le suis pas. Tous les jours qui passent ne sont pas des bonheurs cumulés, ni des gâteaux au chocolat. Nos gourmandises falsifient le réel. Nos disettes lui confèrent le visage de nos hontes.

 

Pollué d’incrédules constances, l’air rumine ton absence dans ses grandes mâchoires d’ivoire. L’histoire accomplie est incontournable. Elle se raconte sans cesse. C’est toujours la même histoire. Obsédante. Lancinante. Assommante. Le récit jacasse comme des pies dans un pommier. L’esquisse est devenue un refrain. Une partition où les mots s’envolent sitôt posés. Où commence le chaos ? Où se termine la contamination ? Ce qui est vivant malgré la mort n’a plus de limite. Comment ne pas douter de ce qui est ? Là, ici, dans ce grand vide où s’opère une fusion de rêves et de réalité. Tout ce qui a été s’insinue invisible. Tout se suggère du bout des lèvres. Nos mollets supportent le poids de l’écriture des heures. Des histoires à n’en plus finir comme celles que l’on se racontait la nuit à la lueur d’une bougie. Souviens-toi, nous parlions de nous, et chaque fois, il nous semblait que ce partage commençait par il était une fois. Nos réalités étaient des contes, des fables, des leurres, des utopies. Ou bien, est-ce avec le recul que je les vois ainsi ? Je me rappelle pourtant, nous n’existions que par notre foi dans le futur. Notre présent n’était que projections. Nous mesurions nos réalités seulement par l’idée de ce qu’elles pouvaient devenir. Tantôt philanthropes excessifs, tantôt milliardaires confortablement installés défiant toutes résolutions d’être de simples mortels. Nous avions quinze ans. Nous avions le goût de la vie débordant de nos poumons. Nous respirions à satiété les parfums enivrants de la terre.

Nous goûtions au futur sans pouvoir nous en défaire. Dans nos mémoires réunies une heure était cent ans. Nous étions emportés par les mots que nous prononcions. Nous étions victimes d’être en-vie. Nous habitions le mot avant même qu’il est pu se répandre dans nos gorges.

Que reste-t-il de cet instant ignorant le lendemain ? De ce presque rien où l’amour pouvait se confondre avec la vie ? Rien n’est plus comme avant. Nos imaginaires persuadaient le monde de nous ressembler. Maintenant, seul pour toujours, mes rêves t’intègrent. Ils prévoient le futur en y accueillant notre passé. Rien n’est plus comme avant. Regarde mon visage, il est devenu mon second prénom. Il est le miroir de nos inspirations. Tombe la neige et se découd le temps. Vibre le lien enfoui dans la tourbe. Nos désirs sont devenus des glaives. Ma mémoire est le prieuré de mon ardeur. Je consens à la blessure.

 

Je vis ou je m'attache. Entends-tu ma nuit se réveiller en sursaut ? Nos grimoires sont peuplés de fantômes. Pataquès de pathos. Prismes délirants et galimatias de souvenirs. Se déshabituer à vivre c’est accepté de ne pas avoir le dernier mot. La perte devient alors une échappatoire. La perte s’engorge d’abord dans la douleur cuisante de la brèche, puis s’altère, puis s’épuise et se détache des ombres pour illuminer le sentiment dans ses crevasses les plus profondes.  

Infirme le sentiment résonne comme un tocsin au fond de l’âme. Les doutes bâtissent des certitudes afin d’abréger l’amour dans son agonie. Des enfants pleurent, ils ont perdus leurs parents.

Nos châteaux de sable ont rejoint la mer. C’est l’océan de nos besoins qui gronde au loin. C’est midi à quatorze heures qui sonne le cor de nos noyades.

Nous pensons trop nos blessures. Nous retournons à nos déserts pour y labourer la mer qui l’avait ensevelie. Derrière nous, une étrange écume recouvre nos os, et nous trébuchons encore une fois sur le débours du temps imprimé. Notre temps est un manteau déchiré.

Il faut se résoudre au temps. Combien de temps à attendre le temps ? Deux seins de marbre croisent deux saints de glace. Ici, il givre des heures sans chapeau, des horizons sans ligne tracées d’avance. Nos cœurs fredonnent l’hymne à la joie avant de disparaître. Nos mains se plient comme des gants, nos lèvres broussent comme une gelée se transforme en gélatine. Nous convolons à l’intérieur d’un paradis blanc et nous nous perdons dans le regard du monde. Si nous devions renaître à cet instant, nous serions déjà mort du chahut de nos ombres éphémères. Tout passe et nous restons derrière. Dans le creuset du fossoyeur des amours mortes.  

 

Bien sûr je te fais vivre. Mais pas davantage que tu me fais vivre.

Quant à l'amour, oui, il était bien là avant nous tous...et sûrement est-ce cela qui détermine le grand destin de l'humain, cette morsure définitive au sang...

L’amour ne sait rien des frontières humaines. Il est la déflagration qui ne sait rien des dégâts qu’il cause. Rien de ce qu’il augmente en nous. Rien de la fleur qui pousse dans les décombres. L’activer c’est se résoudre à détonner avec lui.

 

J’ai confiance en l’intuition qui à mon humble avis est inscrite au patrimoine Universel de l’humanité. C’est le berceau des projections secrètes, le souffle irrationnel qui nous révèle l’intraduisible de l’inconnu. Et, je braconne à la lisière de ce Cap de bonnes Espérances.

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Commentaires
B
Remonte des gorgées d’amour inapprivoisées… un poignard de sentiments.<br /> La peur est si pénétrante qu’elle nous protège quelquefois de l’anéantissement. Mais, il est difficile de la caresser dans le sens du poil.<br /> Merci Sedna de ta lecture et de tes yeux.
S
L'amour comme un poignard qui traverse<br /> en plein jour le fond de nos nuits<br /> Laissant les ultimes solitudes <br /> Accrochées aux bras des étoiles..<br /> Juste apprivoiser cette peur de "nous"perdre et toi, avec tes mots sublimés, tu apprivoises cette part d'ombre où l'amour va se cacher faute de pouvoir exister parfois.
O
bah heureusement qu'on prétend pas le refaire, le monde, juste y déposer sa fécondité, c'est déjà pas mal...<br /> promesses sur deux pattes...chance, je manquerai pas de leur en causer en passant ton bonjour...sourire. <br /> merci des tiens, B.
B
Ouille, consentir c’est se limiter aux limites. Le débordement demeure magistral. Quel qu’il soit, où qu’il soit. Nous ne refaisons pas le monde en apprenant à l’aimer. Nous avons une chance fantastique : nous sommes malgré tout des promesses sur deux pattes !<br /> Le bonjour aux éléphants ! lol<br /> Et merci de tes mots.
B
Ile, je ne sais si aimer s’apprend. Mais tu as toujours le mot qui me traverse. merci
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