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LA COLLINE AUX CIGALES
18 mars 2011

Buveur d’étoiles, buveurs de poisons.

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Chaque bulbe de toi est un morceau de solitude. Il est un territoire hermétique, un monde clos, que seul l’amour parvient encore à pénétrer quelquefois. Chaque représentation, chaque image broute aux âmes mortes. Nos âmes mortes. Chaque relent nous est une coursive piégée par laquelle transitent nos mémoires graveleuses et nous débitons à l’oubli nos traversées vagabondes. L’oubli. Il réclame son obole, sa part de vie désastreuse, sa part de chair écarlate. Chaque inspiration est un souffle exilé des tempêtes humaines. Vacillante de précaire. Toujours au bord du naufrage de l’éphémère. Il y a des solitudes qui s’y meurent. Des tristesses et des chagrins dans l’encornure des respirations, dans l’articulation de la plainte, dans sa démesure gémissante. Et les souvenirs que l’on espère rieurs nous viennent des soleils qui réchauffent encore nos souterrains et nos caves, de nos bazars  indisponibles à la raison. Il y a des fièvres inoculées dans la voix de nos souvenances. Des coqueluches et des varicelles. Les recueillements de la postérité ont le goût de ce qui se termine. Sans doute, connaissent-ils mieux que personne, la lumière qu’ils traînent derrière eux. Le sacre d’une disparition est un engloutissement profond.

 

La solitude est-ce une pitié de soi ? Dans ce désert, rien ne parle, rien ne bouge. Et cependant… La bouche promène sur des oasis providentiels. Le cœur se dissipe dans les vagues du sable, les mains chahutent les grains désordonnés et le regard s’accroche aux cris transcendés par toutes les victimes arrêtées à l’immobilité des hurlements, aux cris perçants restés dans les sources profondes de l’humanité. Entends-tu quelquefois, ces chants de vie éteinte remonter à la surface ? Ces voix anciennes comme repliées dans le naufrage de la terre ?

 

Solitaires de nature, nos ombres se mélangent. Nous sommes si nombreux aux creux de l’obscurité que la parole y est lourde et la voix pâteuse comme une cire molle. Dans la culbute des heures dures, nous avons pitié de nous-mêmes. Nous cherchons, chacun, dans nos désespérances, un coin de lumière propice à nous extirper de nos corps et de nos âmes. Nous bavardons avec l’écume de nos torpeurs, cisaillant l’unité protectrice de notre seule pensée. Nous sommes seuls. Désespérément seuls. Seuls d’avenir, seuls de passé. Seuls de l’invraisemblable communauté des hommes. Seuls et uniques. Et nous nous convoquons aux autres pour nous débarrasser de nos échos d’amour propre. De l’imminence cotonneuse de nos fiertés et de nos désarrois.

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Te dire davantage serait escamoter l’amour qui nous transporte comme des sacs remplis de glaises prêtes à être façonnées, à être polies et travaillées à l’irréductible tripotage des hommes. Nous sommes devenus. Nous sommes parvenus. Dans nos tiroirs traînent encore quelques sentiments mort-nés, quelques émotions repliées où se conserve le temps qui n’a su naître.

La solitude est un écrin, une alcôve, un lieu de prière. Trop de monde y pénètre sans notre désir avoué, trop de morsures de tristesse et de sourires y déposent leurs souliers. Trop nous dilate à l’embonpoint de configurations qui ne sont pas et ne sont plus nous-mêmes. Et être seul dans ces conditions, nous résume à être tous. A baigner dans la foule et le multiple. Dans l’éparpillement. A l’épiphénomène des disgrâces. Lâchés que nous sommes, vaincus par l’empirisme des symboles percutants des parasites, des pillardages incrémentés à notre sang buveur d’étoiles, buveurs de poisons.

 

Dans l’intimité de soi. On ne se dit pas tout, on ne s’avoue pas tout. On occulte volontairement une part de soi-même, dans le camouflage, derrière un inconnu d’ignorances comme un bouclier nous protégeant, le croyons-nous, de nos vulnérabilités, de nos désappointements, de nos faillibles et de nos faillites. On se cache à soi-même, on tait, on enterre nos dépourvus et nos faiblesses. On limoge tous les autres pour que survive notre ego, comme une reine dans son essaim. Ego, est ce nom étrange que l’on donne à la part que l’on accepte dominante à l’intérieur de soi.

 

Des échos résonnent si fort que je ne m’entends plus. 

 

Comme un brouillard transparent tissé sur l’eau immobile, mes pensées déambulent comme des chalutiers rentrent au port, le ventre argenté, frétillant des poissons amassés loin des rives sablonneuses. La solitude sommeille dans le froissement de la lumière qui pénètre sous les paupières. Mon désert est fait de chair, d’eau et de sel. Mes cils collent. Le blanc est dedans dehors.

 

On croit, un temps, vivre dans l’ablution des histoires vieillies, dans les séquelles du monde, dans la quête et l’obole des jours plus remplis que les autres. Et puis, nos cours d’eau s’amenuisent, nos rivières se désaxent, nos chemins se déhanchent. Il n’y a pas d’hier qui ne soit un aujourd’hui autrement. Il n’y a pas de mémoire exacte, pas de lieux habités, de cimes atteintes, qui ne soient des lacets défaits, des bribes de temps conjuguées à d’autres temps, plus rageurs, plus amoureux, plus exténués que la durée que l’on croyait intemporelle. Des fragments de réalité remontent à la surface de chaque naufrage, de chaque noyade. Nous devrions nous en défaire. Les jeter aux ragoûts d’escoubilles. Les brûler. Nous devrions être neuf de chaque fois. Innocents de nos erreurs et de nos lâchetés. Des nouveaux nés de la candeur et de la fraîcheur des heures qui se déploient, puis tombent. Tombent comme des gouttes de pluie durcies, devenues des cailloux de calcaire dévalant, en chute libre, du ciel qui lui-même s’effondre. Vierges d’émerveillements. Vierges de toutes les raisons des hommes. Vierges de nos élans. Il faudrait cesser de reconstruire. Cesser d’empiler, d’entasser les heures écoulées dans ce trou sans fond qui avale tout. Qui absorbe nos déboires et nos infortunes comme nos rires et nos visages éclairés. Je suis un amas. Un fatras de dépôts. Une grappe d’amoncellements.

Aujourd’hui, pour réveiller l’or qui dort en moi, l’eau qui serpente le ruisseau des besoins, il faudrait, sans doute, un cataclysme pour que rejaillissent de mes cendres épuisées, l’audace d’une ferveur nouvelle.

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Commentaires
B
Jo :<br /> J’aime bien cette formulation : tenter de vivre.<br /> Merci de ta lecture.
J
Un cataclysme ou un miracle, sans doute ?<br /> Ou simplement parfois une magie particulière qui fait qu'on se met à y croire à nouveau.<br /> Quand bouleversés sans rien maîtriser, l'heure d'aimer sonne et résonne en nous. Quand ça saisit et que rien ne peut calmer la mer dont la vague nous submerge...<br /> Il ne reste plus qu'à soit tenter de le vivre, soit s'appliquer à l'oublier. Parfois l'oublier relève de l'impossible, alors le vivre dans l'idéalisation du souvenir, dans la sublimation du sentiment qui refuse de disparaître finit par être la seule façon d'en guérir. On finit par s'habituer à l'idée qu'il ne sera jamais. Mais désormais plus aucune place pour du banal, de l'humain. Terre brûlée. Quoiqu'on fasse.<br /> Il vaut mieux vivre l'amour et lui donner la chance d'une mort naturelle plutôt que de rester avec l'idée ancrée que celui qu'on n'a pu vivre était le seul à valoir le sens de sa vie.<br /> "Dans nos tiroirs traînent encore quelques sentiments mort-nés, quelques émotions repliées où se conserve le temps qui n’a su naître."<br /> C'est ça le véritable poison.
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